C.A.R.D.I.E. - E.A.F.C. Cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation

Publication du rapport de l’Observatoire des pratiques en éducation prioritaire (mai 2016)

05 / 07 / 2016 | admin

La mise en place en octobre 2015 de l’Observatoire des pratiques en Éducation prioritaire aboutit en mai 2016 à la publication d’un rapport composé de 12 recommandations claires, proposées à la mise en œuvre : un incontournable pour la rentrée prochaine. À mettre entre toutes les mains, au-delà du cadre stricto sensu de l’Éducation prioritaire. Cet événement académique marque une étape nouvelle et essentielle dans la recherche et la mise en œuvre d’outils collaboratifs au sein de l’ académie. Il entend croiser les regards de personnes, usagers ou acteurs à titres divers du système éducatif. Ce rapport se nourrira de l’apport de tous ceux qui penseront utile d’y ajouter un point, une réflexion, un constat ou un point de vue sur le site du CAREP où il est en ligne à cet effet recommandation par recommandation.

Le premier rapport de l’Observatoire des pratiques en Éducation prioritaire est d’une lecture aisée. Il est conçu pour s’en approprier facilement les 12 recommandations qui en ont émergées.

Le rapport dans son intégralité :

Le travail personnel de l’élève en dehors de la classe

Propos recueillis auprès d’Alain Pothet, IA-IPR SVT, en Charge de la Mission Éducation prioritaire pour l’académie de Créteil, une interview pour la CARDIE (Cellule académique Recherche Développement Innovation et expérimentation.

1. Pourquoi avoir choisi pour objet d’étude le thème du travail personnel de l’élève en dehors de la classe ?

Ce thème d’étude permettait d’observer les réseaux de manière systémique sur une question qui engage tous les acteurs éducatifs, personnels de l’éducation nationale dans les REP et REP+, mais aussi parents d’élèves, partenaires des associations et des collectivités territoriales.
Ce thème nous permettait aussi de tenir compte immédiatement du point de vue de l’élève, du point de vue des familles sur une question centrale. Le travail personnel en dehors de la classe est en effet au cœur de la réussite des élèves, au cœur aussi des inégalités scolaires et sociales que la France a tant de difficultés à réduire (cf. les enquêtes PISA). Entre les jeunes qui peuvent bénéficier d’un accompagnement ou du capital culturel de leurs familles et les élèves les moins favorisés, le fossé n’a cessé de s’élargir.
Enfin cette question nous semblait caractéristique d’une tradition française finalement assez peu interrogée, en dépit du rapport de Dominique GLASMAN sur ce thème en 2004, mais aussi du rapport de l’IGEN en 2008 (sur ce thème également, mais limité à l’école élémentaire), en dépit aussi des travaux de Patrick RAYOU, Séverine KAKPO ou d’autres chercheurs. Ils ne sont pas nécessairement aussi popularisés qu’ils le mériteraient.

2. Est-ce une priorité nouvelle en éducation prioritaire ?

La priorité est nouvelle, et pas seulement en éducation prioritaire. Ces deux derniers mois, les groupes de travail sur ce thème se sont multipliés au ministère. L’urgence à s’attaquer aux inégalités reconduites par l’École jusqu’à maintenant y est pour beaucoup. Le rapport de Jean-Paul DELAHAYE Grande pauvreté et réussite scolaire , présenté en mai 2015, a durablement marqué les esprits. Il a suscité la volonté d’en finir avec l’impuissance française à surmonter la reproduction scolaire et sociale.

3. Quel était l’objectif de l’Observatoire des pratiques pour sa première année d’exercice ? (expliciter le terme de "recommandation") ?

L’Observatoire entendait collecter les témoignages des acteurs éducatifs au plus près de leur expérience de terrain. Les observateurs allaient écouter leurs préoccupations, leurs expériences et leurs réussites. L’objectif était de cerner des difficultés pour leur associer des pratiques, observées sur le terrain et capables d’y remédier. Il s’agissait donc de partir de la base, du terrain pour servir ensuite la base et le terrain en proposant des remédiations. Nos recommandations ne sont pas des injonctions, mais des propositions, étayées par des pistes d’actions à plusieurs échelles (la classe, l’école ou l’établissement, le réseau). À chacun de s’en inspirer pour améliorer la réussite des élèves dans son propre réseau. On sait bien que tout n’est pas transposable, qu’une solution efficace ici, avec des acteurs particuliers sur un territoire spécifique, ne l’est pas nécessairement là, dans un autre cadre ou un autre contexte. Douze recommandations sont donc proposées comme un éventail de possibles.

4. Qu’ont révélé les visites des 10 réseaux d’éducation prioritaire choisis ? Les situations sont-elles contrastées ? Si oui, comment ? Comment l’expliquer ?

L’observation des 10 réseaux d’éducation prioritaire choisis (6 en Seine-Saint-Denis, 2 dans le Val-de-Marne et 2 en Seine-et-Marne) a montré combien le travail personnel de l’élève pour l’école, réalisé en dehors de la classe, est un impensé pédagogique. Rares sont les enseignants rencontrés qui l’intègrent sciemment dans leurs stratégies pédagogiques. Beaucoup donnent du travail hors la classe parce que cela s’est toujours fait. Il s’agit parfois de faire acquérir des attitudes, un sens de l’effort, de pures connaissances, plutôt que de conforter des apprentissages en termes de compétences.
Les entretiens menés par les observateurs dans dix réseaux (8 REP+, 2 REP) ont révélé des situations très contrastées en terme de stabilité des personnels, de réussite à « faire réseau », de climat scolaire ressenti. Quand le travail personnel hors la classe est un thème commun de réflexion, il y a bien « réseau ». Les disparités sont liées à différents contextes géographiques, à des identités territoriales différentes : il peut sembler plus aisé de faire réseau et de retenir des personnels dans un cadre moins urbanisé à meilleure qualité de vie. Mais celui-ci n’explique pas tout. Un réseau proche de Paris, très densément peuplé et dans une « Zone de Sécurité Prioritaire » (ZSP), n’est pas condamné aux pires difficultés. Le défi est alors de le consolider comme zone préservée, sans pour autant se couper des familles. Parfois, il existe aussi un effet « chef d’établissement », et l’impact positif, difficilement prévisible, de certaines rencontres professionnelles. Dans ces cas, le défi est d’en pérenniser le bénéfice, de mettre en mémoire les pratiques efficaces pour les transmettre aux nouveaux personnels, ou même de promouvoir une formation « maison ».

5. Quelles sont les recommandations de l’Observatoire pour articuler le travail personnel de l’élève et les apprentissages en cours ou à l’école ?

« Mieux articuler le travail fait dans la classe avec le travail personnel en dehors de la classe » est une recommandation en soi (la n°4). Elle implique une réflexion pédagogique de l’enseignant. Il s’agit notamment de « recentrer le travail personnel de l’élève sur les apprentissages en l’aidant à développer leur autonomie » (n°3) et de « s’assurer que l’élève sait et comprend ce qui est attendu de lui en termes de modalités et d’enjeux » (n°5).
Articuler le travail personnel de l’élève et les apprentissages à l’école suppose d’abord une réflexion sur le cours lui-même sur la manière dont le travail personnel de l’élève hors la classe pourra l’anticiper ou le prolonger en tenant compte des équipements disponibles et des niveaux différents des élèves. Une différenciation est souvent nécessaire pour que la motivation soit soutenue et l’apprentissage solide. En classe, l’exploitation efficace du travail suppose un climat de confiance, des pratiques collaboratives, un intérêt particulier pour les erreurs des élèves qui servent à construire les explications.

6. Comment peut-on aider les élèves dans la réalisation efficace de leur travail personnel ?

Les aider, c’est jouer sur différents tableaux, comme on le dit familièrement :
  « Prendre en compte l’organisation et les lieux de travail » (recommandation n°6) : il s’agit de donner un travail qui pourra matériellement être réalisé sur place. Améliorer les conditions d’accueil dans le réseau est nécessaire pour motiver les élèves à y rester après les cours. Il s’agit de multiplier les espaces spécifiques de travail où rechercher, oraliser, trouver du soutien, travailler en discutant avec ses pairs, ou individuellement et en silence. Il s’agit d’élargir un éventail de choix qui répondent au type de travail à réaliser, aux aptitudes et inclinations des élèves ;
  « S’assurer que l’élève sait et comprend ce qui est attendu de lui en termes de modalités et d’enjeux » (recommandation n°5) : aider, c’est prescrire un travail dont on s’assure les conditions de réussite, par la tenue à jour des cahiers de textes (numérique pour la classe, papier pour chaque élève) qui indiquent ce que l’on doit faire, et le formule clairement, sous forme d’attendus, d’objectifs plutôt que de tâches à réaliser) ;
  à côté de l’alliance éducative avec les familles, « établir un lien étroit avec les partenaires de l’école qui proposent de l’aide au travail personnel » est une action qui soutient les élèves dans la réalisation de leur travail personnel d’abord dans les cas où l’équipement interne des réseaux est encore insuffisant. La clarification des attendus pédagogiques, la mise en cohérence des différentes initiatives sont alors à viser sans oublier que le meilleur des travaux personnels au service des apprentissages est d’abord celui que l’élève peut faire seul.

Photo : Remise officielle du rapport le 27 mai 2016 à Créteil - Lycée Saint-Exupéry.

7. Comment les différents acteurs éducatifs des réseaux s’emparent de cette question ?

Pour l’heure, les différents acteurs éducatifs des réseaux s’emparent de cette question séparément plutôt qu’ensemble. Les temps de concertation ont encore rarement traité du travail personnel de l’élève hors la classe et de ses conditions de réalisation. En collège, l’approche reste plus disciplinaire que transversale. Les enseignants méconnaissent les initiatives extérieures d’aide au travail personnel ou n’ont pas songé à forger des attendus ou des outils de liaison qui garantiraient une meilleure efficacité de ces dispositifs. Des villes ou des associations font beaucoup mais souvent sans lien avec les enseignants. La dispersion des initiatives concourt à déstabiliser les familles les plus éloignées de l’école et joue parfois contre elle.

8. Comment associer les familles et les acteurs extérieurs à l’école sur la question du travail personnel de l’élève ?

Une véritable coéducation suppose que soit « donn(ée) aux familles une meilleure lisibilité sur le travail personnel des élèves, ses attendus, ses visées d’apprentissages et son évaluation » notamment par des classes ouvertes, à des moments de cours ou de lecture. Mieux vaut que les parents soient peu nombreux à chaque fois, mais que tous bénéficient de ces expériences qui montrent des manières de faire et ouvrent sur des temps d’échanges très riches, au bénéfice des enfants. Les partenaires extérieurs qui interviennent dans l’aide au travail personnel des élèves gagneraient eux aussi à mieux connaître les attendus pédagogiques. Cela suppose aussi une ouverture, par exemple une présentation du socle commun pour faire connaître les attendus de fin de cycle, les critères d’évaluation. On pourrait aussi convier les partenaires identifiés au comité de pilotage du réseau afin de mettre en cohérence les initiatives qui sont nombreuses, de donner au Projet Éducatif Territorial davantage de corps.

9. La question du travail personnel de l’élève en dehors de l’école est-elle un levier ou un frein pour réduire les inégalités scolaires ? Que propose l’Observatoire des pratiques en éducation prioritaire ?

Le travail personnel de l’élève en dehors de la classe est un frein à la réduction aux inégalités scolaires quand il ne tient pas suffisamment compte du niveau de l’élève, des conditions réelles de réalisation travail hors la classe - et elles sont parfois méconnues - quand les élèves n’en perçoivent pas le sens, c’est-à-dire la signification, mais aussi la direction, l’objectif.
A contrario, il est un levier pour la réussite de tous les élèves, un vecteur de réduction des inégalités s’il est faisable par l’élève, s’il est assez différencié pour venir à bout des difficultés des uns et des autres, s’il est réalisable en-dehors de la classe, d’abord dans le réseau même. Il suscite alors la motivation. C’est pourquoi l’articulation de la réflexion pédagogique et d’une réflexion sur les lieux et les temps de travail est fondamentale. C’est finalement ce que suggère le rapport de l’Observatoire.
À aucun moment, il n’a remis en cause l’existence même du travail personnel hors la classe. Il est nécessaire à la réussite et indispensable à l’équité éducative.

10. Les 12 recommandations s’inscrivent-elles dans l’esprit des réformes en cours ?

L’esprit des réformes en cours traverse les recommandations parce qu’elles sont un appel à une mobilisation générale contre les inégalités scolaires. Et chaque recommandation s’appuie sur du réel, sur des pratiques observées qui donnent des résultats satisfaisants. Il s’agissait de les faire connaître, de tracer un chemin cohérent à partir des initiatives qui existent séparément ici ou là et que l’on pourrait tenter ailleurs, en les adaptant au contexte. Il s’agit de soutenir l’esprit de communauté pour mieux faire réseau. Cela s’inscrit dans l’esprit des réformes en cours qui promeut la concertation des enseignants, une transdisciplinarité capable de donner davantage de sens aux apprentissages et donc de soutenir la motivation.

11. Quelle suite souhaitez-vous donner au rapport de l’observatoire des pratiques en éducation prioritaire sur le travail personnel de l’élève ?

Le rapport est mis à disposition sur les sites CAREP Créteil et réseau CANOPÉ éducation prioritaire. La CARDIE Créteil soutient sa diffusion. Et actuellement se constituent deux groupes de travail qui réunissent des chefs d’établissement, des IEN, des IA-IPR afin de concrétiser des recommandations. Ils commenceront à travailler à la rentrée prochaine.
Le premier s’inscrit dans le prolongement de la recommandation 2 du rapport : elle demandait la rédaction d’une note académique afin que soit clarifié le sens que l’institution assigne au mot « devoir », et ce qui est prescriptible ou non.
Afin de répondre aux demandes de formation des enseignants et à la recommandation 11, un second groupe réunira outils et ressources nécessaires sur le travail personnel des élèves et préparera des formations sur ce thème pour l’année suivante. L’ESPÉ devrait être impliquée. Au plus vite, des temps de concertations traiteront de la question dès la rentrée. Ils seront animés par les Formateurs Éducation Prioritaire. Des réseaux nous ont déjà demandé une collaboration pour un de ces temps. Sur ce thème, la mobilisation commence.

Pour en savoir plus

 L’ article Le rapport sur le travail personnel de l’élève en dehors de la classe sur le site du CAREP où vous trouverez le lien qui vous permettra de visionner la conférence de Patrick Rayou, prononcée lors de la remise officielle du rapport le 27 mai 2016.

Patrik Rayou est sociologue, enseignant en sciences de l’éducation, chercheur (laboratoire CIRCEFT-ESCOL), Professeur des Universités Émérite à l’Université Paris 8 Saint-Denis.

Tous droits réservés – CARDIE Académie de Créteil - juin 2016