C.A.R.D.I.E. - E.A.F.C. Cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation

Conseil d’élève : le retour d’expérience de Matthieu

21 / 01 / 2019 | Gregory Quiquempois

Le conseil coopératif, une institution au cœur de l’organisation collective de la classe et de l’apprentissage de la co-souveraineté

Nombreux sont les articles et monographies évoquant l’organisation des conseils d’élèves s’inspirant de la pédagogie Freinet et surtout de la pédagogie institutionnelle, dont elle est l’héritière, avec la célèbre expression de F.Oury « Qui c’est le conseil ? ». On pourrait renvoyer à certains d’entre eux [1] ou encore citer les ouvrages de Sylvain Connac [2] qui en ont renouvelé l’analyse ou remis au goût du jour cette institution majeure des pédagogies coopératives.
En outre, l’actualité institutionnelle nous invite à nous intéresser à ce conseil, comme le rappellent la publication du « Mémento Agir sur le climat de classe par la coopération » [3] ou encore la fiche Eduscol de ressources pour l’EMC qui encouragent les enseignants à mettre en place des « conseils d’élèves », de l’école élémentaire au collège [4].

L’objet de cet article n’est donc pas de rappeler les fondements éthiques, philosophiques ou même théoriques de cette institution. Il s’agit de rendre compte d’une expérience toujours en cours, mais qui a le mérite d’avoir un recul suffisant, celle d’une classe coopérative mise en place depuis la rentrée 2015 et ce pour une durée de 3 ans (de la 6e à 4e avec peu ou prou la même cohorte). Les élèves sont donc en 5e et ont fait l’expérience du conseil d’élève au cours de leur année de 6e de manière hebdomadaire, qui se réunit à présent toutes les deux semaines. Il s’agit en soit d’un ajustement faisant suite aux limites d’un conseil qui n’avait parfois pas d’ordre du jour suffisant pour être pertinent. Mais j’y reviendrais par la suite.

L’intitulé du présent article évoque la notion de « co-souveraineté », plutôt que celle de citoyenneté ou encore, la notion plus radicale d’autogestion. Je reprends le terme utilisé par Pierre Frackowiak [5] lors de son discours aux Entretiens Jean Zay au ministère de l’Éducation nationale, le mercredi 19 octobre 2016. Il s’agit pour l’élève d’apprendre à faire usage de sa souveraineté avec l’enseignant(e), au sens plein de « pouvoir décisionnel », qui passe bien évidemment par le vote, mais aussi par la co-construction du cadre dans lequel se déroule les décisions prises par le conseil : modalités d’élection/choix du président de séance, des différentes responsabilités nécessaires à son fonctionnement (secrétaire, maître du temps...), des règles, modalités du vote final (majorité ou recherche d’un consensus par exemple). Co-souveraineté aussi car le maître/enseignant reste le garant de la Loi (ne serait-ce que le règlement du collège) et ne peut tolérer le non-respect des règles fondamentales permettant le bon fonctionnement du conseil. Les élèves font ainsi l’expérience des limites inhérentes à ce dernier, mais aussi de la hiérarchie des normes.
Revenons au commencement de cette expérience dans sa dimension « constitutionnelle », pour le dire pompeusement. Lors du premier conseil, en septembre 2015, les élèves ont eu à débattre sur le mode de désignation du président et du secrétaire de séance. Après avoir proposé plusieurs possibilités, tel que le vote à la majorité, la fonction tournante, etc., ce fut le mode de désignation par tirage au sort (en utilisant un dé virtuel en ligne par la suite) qui fut choisi. Les élèves ont eu à ce moment-là l’occasion de débattre des avantages et inconvénients de chacun des types de désignation. On peut donc parler d’une initiation au droit constitutionnel !
Quant au secrétaire, autre fonction éminente, le conseil a voté rapidement l’idée que pour respecter la parité, l’élève-volontaire choisi (si plusieurs candidats) par le président serait donc du sexe opposé. Au fil des semaines, des ajustements concernant l’organisation des débats et des décisions prises à l’issue du conseil ont été effectuées. Pour ne donner qu’un exemple, et ce afin d’assurer une gestion efficace du temps de parole et des débats, et d’éviter ainsi de perdre de vue l’essentiel, l’élève ou l’enseignant à l’origine d’une proposition inscrite à l’ordre du jour doit proposer une durée maximale des échanges à ce sujet (en général entre 5 et 10 minutes). Le maître du temps y veille et indique quand on doit procéder au vote. Si le sujet n’a pas épuisé les débats alors il est ajourné et sera à l’ordre du jour du prochain conseil. Cette situation a été notamment le cas lors des évocations de « l’arlésienne » que fut la mise en place d’un blog-journal de la classe. L’équipe de la CARDIE qui a filmé le conseil coopératif du 23 septembre, le premier de l’année de 5e, a capté le moment où fut clos le débat concernant ce sujet.

Cet exemple du blog-journal illustre assez bien ce qui doit être au cœur du conseil, sa finalité, sa raison d’être : l’organisation du groupe-classe, ses projets et donc in fine le travail, au sens large et noble du terme, tel que l’évoquait Freinet dans ses écrits [6]. Comme l’a souligné Sylvain Connac dans un article de la revue de l’OCCE, le risque est grand que le conseil devienne un tribunal, dans lequel se règle uniquement les tensions interpersonnelles, les querelles, les anathèmes entre élèves. [7] Dans le cas du conseil coopératif de cette classe, nous avons mis en place la « météo » qui permet aux élèves d’indiquer leur niveau de satisfaction concernant le fonctionnement et l’ambiance de la classe entre deux conseils (2 élèves par niveau de satisfaction peuvent justifier leur opinion), ainsi que les « félicitations /problèmes à signaler » en fin de séance. Mais pour éviter toute dérive, les élèves doivent me l’indiquer en amont, afin que je questionne l’élève qui est mis en cause.
Au cours de l’année de 6e des tensions récurrentes entre élèves, liée en partie à une paire d’entre eux qui ont depuis quitté la classe pour « incompatibilité manifeste » avec la philosophie de la coopération, m’avait conduit à proposer aux élèves de mettre en place un système inspiré des « messages clairs » [8] au cours de la séance. Ce fut un échec car il parasitait le conseil et devenait l’élément central de ce dernier, de nombreux élèves en faisant la demande. La dimension « publique » du règlement des conflits ne faisait qu’envenimer les situations. Cet exemple rappelle l’importance du rôle de l’enseignant dans des situations qui ne peuvent (à tout le moins à un moment « T », car l’ambiance de classe s’est considérablement améliorée depuis le départ de ces élèves) être réglés entre pairs ou par une institution comme le conseil. Il s’agit donc de « reprendre la main », sans pour autant supprimer ce qui est la finalité du conseil : la co-construction du cadre de travail et de l’organisation de la classe.
Ainsi, j’en reviens à cette dernière. Qu’il s’agisse de proposer/supprimer/amender des responsabilités (responsable des documents, des rideaux...) et de les attribuer, de suggérer une activité collective, un projet personnel, la mise en place d’un nouvel outil, ou bien encore de faire part des critiques concernant des dysfonctionnements précédents (par exemple les élèves ont été très déçus de ne pas avoir pu connaître une correspondance soutenue avec une classe de 6e du Nord, ils ont été ainsi assez septiques lorsque je leur ai proposé de réessayer avec une classe de 5e de Marseille), les élèves font l’apprentissage du débat argumenté, de la diversité des opinions, du décalage entre les aspirations et leurs réalisations, etc. Ils sont en outre responsabilisés dans la mesure où les décisions finales les engagent et qu’ils doivent en rendre compte, devant le conseil mais aussi les adultes, personnels d’éducation ou même parents. Ils développent aussi une attitude critique quant aux décisions pour lesquelles ils n’ont pas été consulté, quand elle provient d’une autorité tels que le chef d’établissement ou d’un(e) enseignant(e). C’est en somme une attitude d’exigence démocratique qui s’exprime notamment dans le fait qu’il n’y a pas de délégué dans cette classe, pas de détenteur d’un pouvoir supérieur, d’une représentation qui octroie in fine des droits supplémentaires, certes symboliques mais les élèves y sont sensibles. Émerge alors le pouvoir quelque peu subversif du conseil, qui par la dévolution [9] de l’autorité du maître qu’il permet, davantage qu’à un tout autre moment de le vie coopérative de la classe, une petite révolution dans les pratiques mais surtout dans la conception qu’on a du rôle traditionnel de l’enseignant et de la « place des élèves ».
Je conclurais en indiquant que les élèves ont déploré les rares occasions où le conseil coopératif a dû être annulé ou remplacé par un cours d’HG car ils ont pris conscience des enjeux et des finalités de ce dernier. À la rentrée des vacances de la Toussaint, je leur annoncerai qu’ils auront la possibilité d’être mis en relation avec un établissement indien, situé non-loin du Taj Mahal, où une classe s’inspirant elle aussi des pédagogies alternatives se met en place. Nous aurons dès lors l’occasion de débattre des modalités de cet échange qui s’annonce riche par le champ des possibles qu’il ouvre. Je ferai en sorte de les guider/influencer le moins possible. Car là est aussi l’intérêt pour l’enseignant(e) : le jaillissement de l’imprévu.

Mathieu Fontvieille, professeur d’histoire-géographie, Académie de Créteil

[1« Le conseil, clé de voûte de l’organisation coopérative » : http://www.icem- freinet.fr/archives/ne/ne/120/conseil120-pdf.pdf ; « Le conseil de coopération » : http://www.occe.coop/~ad86/IMG/pdf_Le_conseil_de_cooperation.pdf ; « Le conseil d’enfants » : http://www.citoyendedemain.net/pdf/pratiques-conseilenfants.pdf

[2Sylvain Connac, Apprendre avec les pédagogies coopératives, Collection Pédagogies, ESF éditeur, 2013

[3https://www.reseau-
canope.fr/climatscolaire/uploads/tx_cndpclimatsco/memento_pour_la_cooperation_entre_eleves.pdf

[5Inspecteur honoraire de l’Éducation Nationale, il a notamment contribué au numéro spécial du Nouvel Éducateur d’octobre 2016 pour le cinquantenaire de la disparition de Célestin Freinet, tout comme l’auteur de cet article. Sa contribution est disponible en ligne : http://www.educavox.fr/accueil/debats/l-innovation-pedagogique-un-leurre- une-lueur

[6À ce sujet, deux articles qui éclairent cette notion de travail dans la pédagogie Freinet. Par Bernard Collot : http://b.collot.pagesperso-orange.fr/b.collot/travail.pdf et Cédric Serres : http://www.icem34.fr/index.php/ressources/billets-d-humeur/60-la-pedagogie-du-travail

[7Pour que le conseil ne soit pas un tribunal (p.54- 56) http://animeduc.occe.coop/spip.php?page=presentation_revue&id=235 (article en libre accès)

[8Une présentation de cet outil sur le site de l’ICEM34 http://www.icem34.fr/index.php/ressources/classe- cooperative/les-messages-clairs ainsi que dans les fiches ressources pour l’EMC : http://cache.media.eduscol.education.fr/file/EMC/03/2/Ress_emc_conflits_messages_clairs_509032.pdf

[9Pour une présentation de la notion de « dévolution », au cœur des pédagogies coopératives : http://francois.muller.free.fr/diversifier/DEVOLUTION.htm