Une pratique du texte libre en histoire-géographie
Cette pratique a été mise en place dans le cadre du projet CVE que le lycée Utrillo de Stains a déposé en juin 2023 : les "Classes coopératives".
Parmi les pratiques coopératives figure notamment l’écriture libre, que Marjolaine Fourton, enseignante d’Histoire-Géographie, a mise en place dans sa classe. Voici son témoignage.
Une pratique du texte libre en histoire-géographie : un témoignage
Le texte libre est une pratique qui fait partie de la pédagogie Freinet. Je l’ai adaptée à mon quotidien dans le cadre de l’enseignement de l’histoire-géographie en lycée.
Tout commence par une consigne volontairement simple : “Ecrivez un texte, en histoire ou en géographie, sur un sujet libre et sous la forme de votre choix”. La seule contrainte de cette écriture libre est donc l’ancrage disciplinaire, « en histoire ou en géographie », contrainte qui devient une opportunité pour définir (et redéfinir régulièrement) ce que sont ces disciplines, qui sont en vérité des sciences.
Les textes des élèves sont ensuite relus et annotés : je propose des pistes pour améliorer certains passages ou pour continuer les textes. Je donne des documents complémentaires pour permettre aux élèves de densifier leurs écrits. Les élèves écrivent donc plusieurs versions successives, avec un objectif de rendre au moins une version de leur travail libre sur une période de trois semaines, plusieurs temps en classe étant dédiés à ce travail. Le sujet évolue parfois au fil des versions. Quand j’estime que le travail est suffisamment abouti, il est présenté à la classe par l’élève auteur, puis il y a une discussion collective sur le texte. Parfois quand cela est possible, je poursuis en faisant le lien entre la présentation et le programme, ou en élargissant à partir du sujet présenté.
Des difficultés qui font avancer
Cette pratique est devenue régulière dans mon enseignement, pour autant je me heurte encore à des difficultés de plusieurs ordres.
Tout d’abord, l’absence de contrainte est paradoxalement un frein pour que les élèves se lancent. Ils ont du mal à choisir des sujets variés, privilégiant par exemple les deux guerres mondiales. Il y a aussi davantage de sujets en histoire qu’en géographie : signe que l’objet même de la géographie est peut-être moins clair que celui de l’histoire pour les élèves ? Pour limiter cette tendance, j’ai essayé de faire avec eux un brainstorming de « tous les sujets que vous connaissez en histoire et en géographie » au début de l’année, et je mets aussi à disposition différents manuels d’histoire et de géographie, pour y piocher des documents inspirants. Ou encore, au fil de l’année, lorsque les élèves posent des questions, je les invite à approfondir ces sujets en les choisissant pour leurs travaux libres.
Une fois le sujet choisi, un écueil majeur est le fait de recopier des articles Wikipédia ou de recourir à l’intelligence artificielle. Pour y remédier, je demande aux élèves de commencer par écrire ce qu’ils et elles savent, avant toute recherche. J’insiste aussi pour savoir pourquoi le sujet les intéresse, quel est leur lien avec ce sujet : cela peut être une piste pour commencer à problématiser, plutôt que de faire une recherche sans savoir ce qui les intéresse réellement. Cette entrée par la justification individuelle permet peut-être d’accéder à un écrit plus authentique. Enfin, lorsqu’un·e élève me présente un texte manifestement recopié, je lui demande de le retravailler, de le réorganiser, de chercher des synonymes des mots inconnus, pour que le texte devienne petit à petit le sien.
Donner du sens à l’écrit
Cette pratique présente pour moi plusieurs intérêts majeurs.
Les textes libres sont une manière de valoriser et de donner du sens à l’écrit. En effet, ils sont présentés et discutés avec la classe, suscitant des réactions d’admiration parfois (« c’est toi qui l’as écrit ?! ») et donc de fierté. Une élève présentant un texte de fiction historique, la lettre d’une femme à son mari parti dans les tranchées, a ainsi dû répondre à la classe qui voulait la suite de l’histoire, la réponse du mari. Les textes sont ensuite réunis dans un recueil de la classe pour que travail de l’élève ne soit pas uniquement confiné à l’aller-retour prof-élève.
Les textes libres permettent également d’arriver progressivement aux compétences disciplinaires, qui répondent à un réel besoin de l’élève et ne sont plus seulement des exercices scolaires. Par exemple, un élève qui a choisi d’écrire une analyse d’un texte de Christophe Colomb veut réellement connaître le sens des mots que Colomb utilise. Par exemple, il a besoin de savoir que « poltron » signifie « lâche » pour pouvoir souligner le point de vue méprisant de Colomb sur les peuples autochtones rencontrés. Il ne s’agit plus de « répondre à des questions sur un texte », mais bien de lire attentivement un texte pour le comprendre et savoir l’expliquer. Le travail scolaire se rapproche alors de la pratique de l’historien.
De même, la problématisation se construit progressivement. Ainsi, une élève ayant choisi « d’écrire un poème sur Napoléon » a commencé par faire une courte recherche biographique. Elle a alors découvert l’existence de la bataille de Vertières (perdue par l’armée de Napoléon en 1803, et aboutissant à l’indépendance d’Haïti) et a choisi de travailler pour expliquer pourquoi cette bataille était méconnue, soulevant des enjeux historiographiques importants.
Ainsi la pratique régulière du texte libre au cours de l’année permet pour moi de construire un rapport plus authentique et personnel aux savoir disciplinaires : le plaisir et la motivation des élèves sont manifestes, tout comme ma propre satisfaction à les accompagner dans la découverte des pratiques réelles du métier d’historien et de géographe.
Marjolaine Fourton, enseignante d’Histoire-Géographie au lycée Utrillo de Stains