Décider ensemble : ça s’apprend – LéA Classes coopératives Feyder
La Cardie de Créteil est fière de vous présenter le travail de son LéA "Classes coopératives Feyder" à travers cet article de Laurent Reynaud et Tiphaine Beaslay, professeur.e.s au lycée Jacques Feyder d’Épinay sur Seine.
CONSTAT
Témoignage d’un instant de classe
Mercredi, il est 12h05, la sonnerie va bientôt retentir et mettre fin au cours des SVT. Je suis en retard sur la prévision de séance. « Bien tout le monde prend son agenda : évaluation du chapitre lundi prochain ». Vote à main levée : l’évaluation aura lieu mercredi.
Un pas de côté à cette situation pourrait la résumer ainsi : il y a eu un désaccord dans le collectif classe sur l’organisation du travail, des points de vue différents se sont exprimés et sont entrés en confrontation, puis l’enseignant a aidé à la décision collective par un vote au lieu de trancher lui-même. Mais la décision a -t-elle été réellement collective ?
Nous mobilisons régulièrement des concepts intuitifs qui sous-entendent qu’il suffit de réunir des personnes ensemble pour faire un collectif et qu’il suffit de mettre à la réflexion un problème pour que chacun puisse défendre son point de vue et qu’ainsi une décision effective soit prise, la plupart du temps par un vote arbitraire et “unificateur”. Les guillemets sont ici de rigueur car le vote conduit à faire imposer le choix d’une majorité sur toutes les minorités, ce qui peut poser de nombreux problèmes notamment dans les petites structures comme celle de la classe.
Un autre pas de côté, plus réflexif cette fois, pourrait interroger cette situation au travers de deux questions :
- Y a-t-il véritablement un collectif dans cette situation ?
- La décision est-elle réellement collective ?
Une autre approche
Il convient alors d’envisager la décision collective non plus comme une addition des points de vue de chacun, qu’une procédure comme le vote aurait pour vocation de synthétiser et d’arbitrer donnant ensuite la légitimité d’application, mais plus comme une compétence à part entière visant à faire évoluer les points de vue pour les moduler autour d’une décision commune co-construite. Cette compétence nécessiterait alors une formation.
Cette formation vise alors une compétence psychosociale clairement définie par l’OMS et l’ UNESCO : “Savoir résoudre les problèmes/Savoir prendre des décisions” qui recoupe les trois domaines de compétences catégorisés par Mangrulkar, Whitnam et Posnet : les compétences sociales, émotionnelles et cognitives. Elle recouvre aussi une série de “soft-skill” relatives à la négociation (influence et persuasion, diplomatie).
Cette action pédagogique mobilise une série d’attitudes comme l’écoute attentive de tous les points de vue, leurs prise en compte, l’argumentation mais aussi des valeurs comme la volonté de faire du commun à partir d’idées singulières. Il s’agit sans doute d’éviter les conformismes émotionnels conditionnés par le groupe en lui-même, pour chercher à ré-instituer les confrontations en nous (conflit cognitif) et avec les autres (conflit socio-cognitif).
Ainsi la coopération dans un collectif apparaît comme une clef nécessaire pour permettre cette formation à la décision collective. La décision collective peut-elle être travaillée par une démarche de coopération au travers d’un outil disciplinaire ?
Vigilance
Dès l’introduction de cette étude, il apparaît nécessaire de rappeler qu’elle présente une modalité pédagogique incluse dans une formation plus globale à la prise de décision collective. Cette formation, s’amorce par une activité du type « Accident sur la Lune ». La modalité étudiée ici est une tentative de réinvestissement disciplinaire qui poursuit cette formation.
PROPOSITION EXPÉRIMENTALE
Présentation générale
Cette expérimentation pédagogique a été réalisé dans le cadre d’une classe coopérative du lycée Jacques Feyder. Il s’agit ici d’en faire une transposition didactique en SVT sur le niveau seconde.
En effet, si une activité hors champ disciplinaire peut permettre de faire prendre conscience aux élèves de l’importance de certaines compétences psychosociales, comme ici l’activité « Accident sur la Lune » pour la compétence “prendre des décisions”, le réinvestissement en aval dans les multiples champs disciplinaires permet de mobiliser cette sensibilisation première à la compétence et ainsi viser à sa stabilisation chez les élèves. Cette proposition expérimentale porte donc sur l’étude d’une tentative de transposition en SVT.
Modalités de réalisation
- Phase 1 : Organisation du cours
Le programme de seconde en SVT, Thème 3 “Corps humain et santé” / Partie “Micro-organisme” / Sous-partie “Agents pathogènes et maladies vectorielles” a été traité sur les 3 semaines précédant cette expérimentation. Les trois activités en amont étaient centrées sur des situations problèmes mobilisant du travail en groupe.
Le cours de 1h30 relaté ici s’organise de la manière suivante :
– Distribution et lecture du cours qui centralise les bilans des trois dernières activités (10 min)
– Réalisation d’une carte mentale résumant le cours (30 min)
– Activité sur la décision collective (40 min) qui fait l’objet de l’expérimentation pédagogique étudiée ci-dessous. Cette activité a été construite en lien avec Leila Dardour et Anne Juras, professeures des SVT au lycée Paul Eluard à Saint Denis.
- Phase 2 : Les décisions individuelles
Les élèves découvrent la situation motivante de l’activité et la première consigne. Ils sont alors invités, individuellement, à classer par ordre de priorité les actions proposées dans le document annexe.
- Phase 3 : délibérations et décisions collectives
Suite à ce temps de classement individuel, les élèves sont répartis aléatoirement en groupe de 3 ou de 4. Ils ont ensuite 10 minutes pour dresser ensemble un classement collectif. Ce temps de travail est enregistré par une captation audio.
A l’intérieur de chaque groupe, les élèves doivent désigner trois responsables :
– Un maître du temps qui veille à ce que les 10 minutes de travail soient respectées ;
– Un rapporteur qui communiquera la justification des choix du groupe au reste de la classe ;
– Un responsable du son qui veille à l’enregistrement et au débit sonore du groupe pour ne pas perturber le reste de la classe.
- Phase 4 : rétroactions individuelles et collectives
Les élèves sont invités à évaluer le travail en groupe centré sur les décisions collectives en remplissant un tableau de rétroaction.
Ils répondent d’abord individuellement à trois questions posées :
– « Est-ce que j’ai pu m’exprimer ? »
– « Est-ce que les autres m’ont écouté ? »
– « Est-ce que mon avis a été pris en compte ? »
Ensuite, ils échangent en groupe sur leur réponse à ces trois questions pour faire entrer en confrontations les éventuelles différences de perception.
- Phase 5 : Bilan
Le classement final établi par l’enseignant est présenté aux élèves.
Les élèves sont invités à le recopier dans la dernière colonne de la fiche réponse et calculer les points d’écart entre leur classement individuel et le classement de référence ainsi qu’entre leur classement collectif et le classement de référence.
Suite à ce dernier travail et la prise de conscience individuelle que cela peut générer en constatant le rapprochement ou l’éloignement de l’adéquation entre le classement collectif et le classement de référence, les élèves sont invités à évaluer le travail en groupe qu’ils viennent de réaliser.
- Phase 6 : retour métacognitif
A la fin des activités, les élèves des classes coopératives ont l’habitude de prendre un temps de métacognition selon une pratique pédagogique : le T.I.M.E., qui fait l’objet d’une autre étude.
A la fin de cette activité, les élèves ont donc suivi cette pratique qui consiste à répondre individuellement à trois questions :
– « Qu’est ce que tu as fait ? »
– « Qu’est ce que tu as appris ? »
– « Comment l’as-tu appris ? »
Ce retour métacognitif a pour objectif de détecter les élèves qui réussissent à secondariser et ceux qui ont plus de difficultés puis, par la confrontation des réponses et la récurrence, de viser à développer la secondarisation.
RÉSULTATS
Les résultats présentés se focalisent sur un seul groupe de travail représentatif.
Présentation du groupe :
– Un maître du temps : élève B
– Un rapporteur : élève C
– Un responsable du son : élève A
Résultats quantitatifs
A noter, les 10 minutes initialement prévues ont été réévaluées par l’enseignant suite à la réalisation de cette activité en amont, cette phase s’est étendue finalement sur 15 minutes. Le responsable du temps était l’élève B et il a été indiqué dès le début que le groupe aurait 15min.
Méthode de traitement
Les zones en bleu sont les points d’accord initiaux des réflexions individuelles des élèves. Ce sont des moments où l’élève a su convaincre ses camarades ou imposer son choix. Il est aussi probable que ce soit des moments où tous les élèves du groupe (ou une majorité) aient eu la “même réponse”, cette convergence a de fait balisé ce choix : “On est plusieurs à l’avoir coché, donc c’est ça”
Les zones en vert sont les enchaînements de numéros consécutifs que l’élève avait trouvé en phase de réflexion individuelle et qu’il a transmis à la décision collective. Ce sont donc les moments où ils ont su imposer ou convaincre ses camarades de la logique d’enchaînement des différents points. Le point de vue défendu se trouve intégré à la décision collective.
Tableau du total des points d’écarts
On remarque que les élèves arrivent à faire un classement plus proche de celui attendu après réflexion à plusieurs que lorsqu’ils travaillent seuls. Cela permet de mettre en évidence la plus value de la discussion collective et de la pertinence des décisions collectives prises.
Les mêmes résultats sont obtenus pour l’activité « Accident sur la Lune ». Il est à noter que, dans leur analyse et dans la nôtre, si un élève avait un meilleur résultat que le groupe cela signifie qu’il ne s’est pas exprimé, ou n’a pas été entendu, ou écouté au sein du groupe ou bien qu’il n’a pas su convaincre.
Reste ensuite à savoir comment s’est organisé ce collectif et ces prises de décisions.
Résultats qualitatifs
Suite à l’analyse des retranscriptions, on remarque que :
– L’élève D était très attentif et participait beaucoup au début de l’activité, cependant, au fil du temps, ses prises de paroles s’amenuisent et il intervient fortement à la fin pour signaler qu’il a du mal à suivre. A partir de la moitié de l’activité, il demande à recommencer plus en amont car il a besoin de se recentrer sur le sens des enchaînements. Une tension se signale entre cet élève et l’élève A à un moment de la discussion.
– L’élève C, très discrète au début de l’activité, et beaucoup à l’écoute de ses camarades, prend de plus en plus la parole avec le temps, en construisant son argumentation. Elle est bien écoutée et entendue de ses camarades On remarque en regardant la figure 8 qu’elle a réussi à convaincre ses camarades de 3 logiques d’enchaînements sur la fin de l’organisation (voir cases en vert). Son rôle est apaisant et elle recentre les choses. Elle prend en charge, sans le savoir, la responsabilité de reformulation lors de l’expression des idées de ses camarades qu’elle s’attache à comprendre. L’élève C de son côté réussit à trouver une logique entre les différents éléments et se fait force de conviction pour enchaîner certains éléments qui pour elle sont associés, plutôt que de vouloir absolument les positionner exactement à la même place que dans son raisonnement individuel (ce que fait l’élève A).
– L’élève A, de son côté, prend beaucoup de place à l’oral tout au long de l’échange. Elle prend le rôle de meneuse, de distributrice de la parole et rythme beaucoup les échanges. Elle a réussi très régulièrement, au sein de l’échange dans le groupe, à remettre des éléments exactement à la même position que dans son classement individuel. Cela ne se produit pas toujours grâce à sa force de conviction mais grâce à un échange collectif qui fait revenir l’ensemble du groupe sur l’idée initiale qu’elle a eu lors de sa réflexion individuelle. Cependant, contrairement à l’élève C qui identifie plusieurs éléments qui s’enchaînent, les éléments qui ressortent pour cette élève sont ponctuels mais plus nombreux.
– L’élève B est également investie oralement, répond systématiquement aux questions et demandes mais elle semble plus écouter les autres et approuver ou réprouver qu’être force de proposition. Vers la fin de la liste, un raisonnement qu’elle avait mené seule est expliqué et se retrouve sur le bilan collectif.
À l’écoute de leur réflexion, il apparaît qu’ils ont un vrai échange sur le sens et l’ordre des propositions pendant environ la moitié de l’activité. Cependant, avec la longueur et le temps, les échanges finissent par porter oralement seulement sur des numéros, et pas des actions qui doivent se succéder. (cf rubrique perspectives)
De nombreux rapprochements sont faits avec la situation sanitaire actuelle durant les échanges, et cela rend vraiment concret et intéressant le travail proposé au regard des élèves.
Résultats de la phase 4 : rétroaction individuelle et collective
Une grande majorité (9 élèves sur 11), après 3 semaines de travail sur le sujet des pandémies/épidémies pense que l’objectif de l’activité était d’apprendre à gérer une épidémie. 2 élèves ont compris ou s’approchent de l’idée que l’objectif premier de l’activité était le travail en groupe et la prise en compte de l’avis des autres. L’un de ces deux élèves a bien perçu la transversalité car il fait le lien avec la formation reçue de manière transversale mais aussi avec les autres disciplines.
ANALYSES
Il s’agit ici de dégager quelques pistes de réflexions qui se dessinent à la lumière des résultats obtenus dans cette expérimentation pédagogique.
La délibération collective : des singularités en synergie
Le groupe étudié se compose de 4 élèves singuliers :
– sur leurs idées initiales mise en évidence par leur classement individuel
– sur leur participation à la délibération collective mise en évidence par les retranscriptions de l’enregistrement (ici quatre singularités profilées dans la partie “Résultats”).
Cette double singularité de représentation et de participation se conjuguent lors de la phase de délibération où une production commune est demandée (ici un classement).
Chaque élève a pris sa place dans la délibération finale à sa façon : l’une (élève A), en prenant le rôle de distributrice de parole a été impliquée du début à la fin, avec une force de conviction/imposition importante ; une autre (élève B) s’est impliquée au début mais s’est laissée distancer par la suite et n’a que peu pris part à la discussion ; une troisième (élève C) est intervenue plus ponctuellement mais toujours de façon argumentée, en reformulant ses idées et celles de ces camarades dans l’objectif de trouver un compromis et de convaincre de ses idées ; le dernier enfin (élève D) s’implique fortement au début puis décroche à un moment et n’est plus vraiment entendu lorsqu’il essaye de raccrocher les wagons. Leur participation à tous est bien présente, mais sur la longueur, ce sont les réflexions principales de deux élèves qui persistent car les participations des deux autres faiblissent sur la durée.
De la délibération à la décision collective
La comparaison des résultats individuels avec les résultats collectifs a permis de révéler aux élèves l’intérêt de la délibération à plusieurs pour accroître l’efficacité d’une décision (étude des points d’écarts). Cette prise de conscience peut être renforcée par la rétroaction métacognitive en fin d’activité mais aussi par le réinvestissement de ces résultats dans des activités disciplinaires ou transversales mises en place dans une temporalité proche, comme les conseils coopératifs (11). En l’état, le réinvestissement est nécessaire pour ce groupe d’élèves car seul 2 sur 11 ont mis en avant l’apprentissage de la décision collective ; les autres mettent en avant l’apprentissage de la gestion d’une épidémie, qui ne représente pas l’objectif principal de cette activité.
L’écoute de chacun dans un collectif : du préalable regretté à un objectif d’apprentissage.
Lors de ces activités de prise de décisions collectives, l’écoute entre pairs est souvent perçue comme un préalable qui fait défaut aux élèves. Il s’agit ici de la percevoir comme un objectif d’apprentissage à part entière sans regretter son absence initiale.
Pour tenter cette formation progressive, nous posons l’hypothèse que la réitération de ces modalités pédagogiques, comme celle exposée, suivies par un temps d’évaluation entre pairs (ici, la phase 4 “rétroaction individuelle et collective”) permet de faire prendre conscience aux élèves le ressenti de chaque élèves au sein du groupe sur la qualité de l’écoute et, progressivement par la répétition de ces temps, de conscientiser l’importance de l’écoute et de l’argumentation. Le questionnaire de rétroaction individuelle peut leur permettre, en plus de donner leur avis qu’on espère de plus en plus sincère après une activité, de prendre conscience des points importants à mettre en œuvre dans ces pratiques collectives (s’exprimer, écouter et être écouté, prise en compte des avis de chacun donc échanges argumentés et construits).
Objectiver le travail
La rétroaction métacognitive révèle que seuls deux élèves ont bien dissocié la tâche, classer les mesures prophylactiques, de l’objectif, apprendre à décider ensemble. Si la secondarisation fait ici défaut, il s’agit peut-être de la conjoncture de trois paramètres :
– Un défaut d’explicitation de l’enseignant au début de l’activité pour préciser clairement les objectifs de l’activité qui va être réalisée. En effet, les élèves étant en fin de chapitre sur une activité dont le lien est important avec leur quotidien depuis 9 mois, ils ont pu mettre en avant l’intérêt de comprendre la gestion d’une épidémie, d’où la confusion avec l’objectif pédagogique de l’activité.
– Un défaut de secondarisation des élèves qui peut être travaillé par la réitération des temps de métacognition. Ce paramètre est travaillé par cette classe selon un protocole prédéfini : le T.I.M.E. (9)
– La transposition disciplinaire de cette activité amène les élèves a y associer intuitivement un objectif disciplinaire. Pour lever cet implicite, il serait judicieux de proposer l’activité « Accident sur la Lune » en amont, et de réinvestir par la suite seulement ces transpositions disciplinaires.
CRITIQUES
La modalité pédagogique présentée dans cette étude cible l’apprentissage de l’habileté de prise de décision collective néanmoins, la mise en contexte didactique a amené à formuler une consigne autour d’un classement de critère.
Rétrospectivement, il est à noter que cette consigne ne permet pas véritablement de prendre de réelle décision mais entraîne plus à comprendre le choix d’experts (ici par l’enseignant) dans la recherche d’une cohérence logique liée aux connaissances en SVT.
Les décisions collectives s’imposent sans doute dans deux autres cas de figures :
– Une organisation liée à un mode de vie commun, c’est ce que la modalité du conseil coopératif tente de mobiliser mais la transposition didactique est plus difficile selon nous.
– Une position de principe, par exemple autour de questions éthiques qu’il est possible de travailler dans le champ didactique notamment en SVT qui est lui exploré dans cette activité.
Selon Jean Le Gal, la prise de décision collective passe par quatre étapes : proposer, discuter, décider, appliquer. Si cette activité mobilise bien les trois premières étapes, la quatrième n’est pas vraiment mobilisée par les élèves à défaut d’application concrète liée à leur décision. Néanmoins, la pratique régulière du conseil d’élève permet de recouvrir ces quatre étapes avec une application effective à prendre en responsabilité. Cette dernière phase d’application nous semble importante car elle permet de solliciter le processus démocratique pour réviser une décision après avoir éprouvé concrètement les effets.
PERSPECTIVES
Au terme de cette analyse qui ciblait la décision collective comme objectif d’apprentissage, une nouvelle perspective de travail pédagogique s’ouvre. Peut-être qu’au-delà des échanges et des décisions qui s’opèrent dans le collectif, l’enjeu pédagogique se situe dans les réflexions individuelles que le collectif suscite et alimente.
Il serait alors souhaitable qu’individuellement les élèves s’interrogent pour savoir si les apports qui sont faits par les autres leur permettent ou non de faire évoluer leur représentation. C’est cette réflexion qui est alors intériorisée. Pour renforcer cette réflexion, il est alors envisageable de demander à chaque élève de valider ou non les idées de leurs camarades dans le groupe.
Cette nouvelle perspective est explorée par des tentatives pédagogiques au sein de la même classe.
Par ailleurs, la retranscription des échanges entre élèves lors de cette activité révèle que les interactions entre les élèves sont rendues plus difficiles et moins pertinentes par l’attribution de numéros en lien avec les mesures. En effet, les élèves parlent plus de “numéros” de proposition à classer plutôt que des propositions en tant que telle, ce qui peut freiner parfois le raisonnement. Par exemple, seul le numéro de la proposition est avancé pour en discuter collectivement or les pairs n’ont pas forcément la proposition annexée en tête. Pour lever cette difficulté, nous pourrions faire évoluer les modalités de cette activité en distribuant 15 actions sur des papiers, sans numéros. Les élèves seraient alors invités à les réorganiser en les collant sur une feuille.
Si cette activité avait pour ambition de s’inscrire dans une continuité amorcée par l’activité NASA afin de remobiliser la compétence “prendre des décisions” dans un champ disciplinaire, il semble tout aussi intéressant de poursuivre ce continuum de deux manières. Tout d’abord en déployant une activité similaire dans un ou deux autres champs disciplinaires sur une même temporalité pour permettre une mobilisation plus récurrente par les élèves. Ensuite en complétant cette démarche par des processus de décisions collective centrée sur des décisions effectives dans la vie des élèves comme la gestion de classe, de projets, … Cela permettrait de faire basculer le champ de décisions sur un cadre plus personnel (moins disciplinaire) et donc de réinvestir la prise en compte de toutes les singularités dans une prise de décision en lien avec le quotidien de chacun et non l’aspect purement disciplinaire. Ce recentrage permettrait alors de mobiliser la responsabilisation des élèves en engageant la décision sur des décisions ayant des incidences sur leur réel proche. Cette perspective est expérimentée au travers des conseils coopératifs des classes coopératives qui ont pour ambitions d’instituer le collectif autour de la prise de décisions effectives.
Enfin cette activité peut être l’occasion, lors du bilan, de discuter avec les élèves des modalités de prise de décision collective. Leur travail dans cette activité leur montre qu’ils sollicitent souvent la discussion or cela peut présenter des risques comme ceux lié aux phénomènes de groupe. Il convient alors de suggérer d’autres modalité possibles comme le consentement mutuel (“qui est contre ?”) et le choix aléatoire (quand le consentement mutuel ne se trouve pas).
CONCLUSION
Cette expérimentation pédagogique propose une modalité pour réinvestir dans le champ disciplinaire une activité visant à faire prendre conscience aux élèves l’intérêt de la délibération pour prendre une décision collective et, par la réitération de la pratique, à former progressivement les élèves à cet exercice. Loin d’être un préalable ou une entreprise spontanée, délibérer pour prendre des décisions ensemble est une compétence psycho-sociale qui s’apprend au travers de jalons organisationnels précis que cette analyse a tenté d’opérationnaliser (réflexion individuelle en amont d’une phase collective, temps de rétroaction individuels et collectifs, temps de métacognition répétés, …).
Ici l’objectif pédagogique est ici de faire prendre conscience aux élèves de l’intérêt du collectif dans la prise de décision et de les former à cette délibération effective, il peut recouvrir des risques qu’il convient d’appréhender. En effet, la mobilisation du collectif ne pourrait être abandonnée à la spontanéité au risque sinon d’encourager des répartitions en fonction des compétences de chacun et, ainsi, creuser encore plus les inégalités.
Il s’agit dès lors de l’organiser autour de jalons limitant cet effet comme :
– un travail individuel en amont pour que chacun puisse entrer dans le collectif en ayant quelque chose à apporter. (ici, la phase 2 : les décisions individuelles)
– Une répartition prédéfini de “rôle” permettant d’organiser le travail en groupe (Ici, un maître du temps, un rapporteur et un responsable du son, dans la phase 3 : “les décisions collectives)
– L’absence de production collective en lien avec une évaluation sommative (ici, le travail ne fait pas l’objet d’une évaluation sommative)
Cette activité avait pour objectif de travailler la prise de décision collective dans un contexte didactique spécifique. Une question reste vive après l’analyse de cette activité : “peut-on travailler la prise de décision collective tout en transmettant des savoirs en lien avec une discipline ?”. Hors contexte disciplinaire, le conseil coopératif est une modalité qui travaille la même compétence en mobilisant la conjugaison essentielle de deux autres : l’autonomie et la responsabilité en mettant les délibération collectives au service de décisions effectives ayant une incidence sur la vie des élèves à l’école.