C.A.R.D.I.E. - E.A.F.C. Cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation

Diffuser des travaux de recherche d’un LéA : quels moyens pour quelles intentions ?

23 / 04 / 2021 | Anaëlle Weiss

Laurent Reynaud, collaborateur CARDIE, présente son intervention du 25 mars 2021 au “rendez-vous des LéA", également publiée sur Hypotheses.org et sur le blog des classes coopératives du lycée Feyder où il enseigne les SVT.

Diffuser des travaux de recherche d’un LéA : quels moyens pour quelles intentions ?
Modalités de valorisation et de diffusion des résultats,
conception de ressources, diffusion et communication sur son LéA



Les LéA sont des lieux d’éducation associés à l’IFé. Ils rassemblent, dans un projet de recherche collaborative inscrit dans une durée d’au moins trois ans, des acteurs d’un lieu d’éducation (établissement, université, association...) qui co-construisent leur questionnement en impliquant une équipe de recherche, l’équipe de pilotage du lieu d’éducation et leurs partenaires.

Au fil des avancées et à la fin du projet, les équipes partagent et diffusent leurs travaux de recherche. Elles s’interrogent alors sur les intentions ciblées et les modalités concrètes de cette diffusion.


Pourquoi et comment diffuser les travaux d’un LéA ?



Nous présenterons ici quelques éléments de réflexion sur ce sujet en suivant trois lignes directrices : les intentions de la diffusion (le “pourquoi ?”), les modalités concrètes de diffusion (le “comment ?”) et nous terminerons par une focale sur la transformation d’un résultat de recherche en ressource de formation.

Quelques éléments de contexte

Pour situer un peu plus d’où nous parlons, nous présentons ici succinctement notre LéA.

Il s’agit du LéA des classes coopératives du lycée Feyder, situé dans l’académie de Créteil. Notre équipe se compose de 6 enseignants et de deux chercheurs : Bruno Robbes et Sylvain Connac. Ensemble, nous explorons une problématique co-définie, apparue suite à une demande d’étude des pratiques coopératives (travail et interactions entre élèves, savoirs et compétences ainsi acquises) : "quels types de conflits apparaissent dans les contextes de classe coopérative lorsque les élèves sont confrontés aux situations problèmes ?"

Lors de notre première année de recherche, nous avons établi une mise en œuvre du travail en groupe afin de susciter du conflit socio-cognitif. Un protocole de recherche accompagné d’une collecte de données lors de la réalisation de ce travail en groupe a été mis en œuvre, notamment par l’enregistrement vidéo de séances de travail en groupe et d’entretiens d’autoconfrontation d’élèves. Ces données ont ensuite été analysées au travers de deux prismes d’études, l’un focalisant sur un travail en groupe, l’autre s’intéressant davantage à la séance en elle-même et à sa préparation du point de vue de l’enseignant. Nous partageons un résumé de ces analyses en cours ici :

Cette double focale a soulevé d’autres perspectives d’étude, notamment l’émergence de conflits relationnels entre les élèves et leur influence éventuelle sur les conflits socio-cognitifs à l’oeuvre, ou encore l’enrichissement de la pratique du travail en groupe par des phases d’objectivation et de rétroaction.

Les intentions de la diffusion des travaux de recherche

Il y a parfois un élan spontané à partager les travaux d’une recherche en équipe. Nous proposons ici quelques pistes de réflexions sur les éventuelles intentions qui portent cet élan. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une liste exhaustive.

 Reconnaître et encourager l’investissement des collègues

Diffuser c’est valoriser. En premier lieu, il y a sans doute là un moyen de flatter l’égo de collègues qui s’investissent dans un travail de recherche parfois long et laborieux, un besoin de valoriser cet engagement pour chercher une reconnaissance professionnelle. L’enjeu est aussi à chercher plus loin. En effet, par cet engagement dans la recherche, les enseignants s’immiscent dans le travail des chercheurs et dans les productions qu’ils s’autorisent à co-signer. Ainsi, la sphère universitaire s’ouvre et le monde enseignant s’insère dans des démarches de recherche, contribuant à décloisonner la recherche et la pratique. Dès lors, cette valorisation assure sans doute une relation de gagnant-gagnant, qui encourage la vision d’un enseignant en recherche dans sa classe et en équipe.

 Mutualiser les regards et les retours

Diffuser, c’est ouvrir aux regards des autres. Par là même, c’est donc accepter de s’ouvrir aux critiques pour faire évoluer le travail de recherche en fonction de leur retour.

 Partager des réflexions, essaimer des pratiques et des démarches

Diffuser c’est partager. Reste alors la délicate question du “quoi ?”

On peut bien entendu partager les résultats de la recherche, qui seront autant de points d’appuis pour les évolutions professionnelles. Une nouvelle réflexion se dessine alors : faut-il partager un résultat de recherche stabilisé ou les avancées régulières ? L’un et l’autre ont leur intérêt et leur valeur, les résultats d’une recherche ne sont de toute manière jamais définitifs. Ce ne sont que de nouvelles hypothèses qu’il faut continuer à tester.

Au-delà des résultats de recherche, il est possible de partager la démarche en elle-même. Diffuser le “comment on a fait”, c’est-à-dire la méthodologie du travail de recherche, est tout aussi utile que le partage du résultat car cela autorise à essayer, à se tromper, à tâtonner. Autant que la production, c’est donc la démarche de recherche qui semble intéressante à partager, notamment la collecte de données et sa méthode d’analyse. Ainsi, ce qui diffuse en parallèle, c’est la vision du métier d’enseignant : d’un exécutant à celle d’un concepteur adoptant une démarche par tâtonnement assumée et nécessaire.

Si la diffusion des travaux de recherche, pas uniquement les résultats mais aussi la démarche, recouvre un certain nombre d’intentions, elle ne saurait s’opérationnaliser au travers d’une modalité unique. Quelles sont donc les moyens à notre disposition pour permettre cette diffusion ?

Des modalités concrètes pour diffuser les travaux de recherche

L’engagement dans la recherche au travers des LéA offre des moyens de diffusion que les enseignants peuvent mobiliser. Nous tentons ici d’en présenter quelques-uns en élargissant un peu les horizons et les finalités qui y sont reliées.

 Le blog des LéA :

Les différents LéA pilotés par l’Ifé sur tout le territoire national regroupent leurs travaux et leurs réflexions sur un blog spécifique : le blog des LéA. Diffuser les travaux sur cette plate-forme revient donc à les mettre en partage avec des pairs engagés dans les démarches de recherche.

 Les CARDIE comme la CARDIE Créteil :

Les académies déploient une mission bien particulière dédiée à l’accompagnement de l’expérimentation pédagogique par les enseignants au travers des CARDIE. La diffusion de travaux de recherche par les CARDIE permet de mettre la démarche et les résultats aux services des enseignants qui expérimentent et, bénéficiant du savoir faire tout particulier des CARDIE, permet aussi d’amorcer des mises en réseaux visant à enrichir et mutualiser ces travaux.

 L’établissement du LéA :

Si les LéA s’inscrivent au cœur des établissements, les travaux n’engagent pas la totalité des enseignants. Une diffusion des travaux peut donc porter à l’échelle de l’établissement. Si cela permet d’amorcer un essaimage local, elle contribue aussi à éviter les écueils liés à l’entre soi, à toujours travailler à l’ouverture donc à la remise en question. Néanmoins, cette diffusion est loin d’être simple. Elle se heurte aussi parfois au risque lié à une mauvaise interprétation des collègues non investis dans les LéA. Une diffusion nécessaire donc, mais qui demande un équilibre parfois difficile à trouver.

 Les réseaux sociaux :

Souvent controversée, l’utilisation des réseaux sociaux nous semble être un canal de diffusion des travaux d’un LéA intéressant. Ils permettent en effet de mutualiser à une échelle plus grande et d’accueillir des regards d’un spectre plus large. Les caractéristiques des réseaux sociaux peuvent parfois contribuer à générer des retours vifs mais il faut aussi s’y confronter. Et, bien plus souvent, les retours sont constructifs, inspirants et encourageants.

 Lors des formations :

La formation des enseignants, initiale ou continue, peut être un moyen de diffuser les travaux de recherche à la fois pour transmettre des points d’appui sur le fond des recherches mais aussi, et peut-être surtout, pour essaimer la démarche de recherche.

Des moyens variés de diffusion des travaux de recherches visent donc des finalités diverses. La formation semble être un moyen de diffusion centré sur l’évolution professionnelle. Dès lors, il convient de s’attarder sur cette focale : Comment utiliser des travaux de recherche comme ressources de formation ?

Des travaux de recherche à la ressource de formation

Notre LéA est en cours et ne peut donc pas partager ses résultats de recherche, mais il tente de partager sa démarche méthodologique et ses avancées régulières dans diverses formations initiales (INSPE M1 et M2) et continues (plan annuel de formation, …). Pour illustrer cette focale, nous prendrons comme exemple une vidéo de travail en groupe enregistrée dans la phase de collecte de données. Une série de questionnements peut guider la réflexion qui nous a mené à cette diffusion.

 Qu’est-ce qu’une ressource de formation ?

Deux éclairages contribuent à renseigner un peu mieux cette question : une proposition de critères par Michel Develay (1), qui propose de définir une ressource de formation par son utilisation. Elle peut être utilisée pour :

  • travailler les représentations professionnelles, les mettre à l’épreuve de résistances et, éventuellement, susciter un besoin de changement.

Pour notre LéA, la diffusion de cette ressource vise donc à travailler les représentations, qui touchent surtout l’instauration du climat scolaire ainsi que la prise en compte de la diversité des élèves, les deux étant liées aux pédagogies de la coopération.

  • montrer des pratiques pédagogiques différentes et effectives.

Pour notre LéA, la ressource prend donc la forme d’une vidéo qui représente une alternative riche aux visites de classes, permettant de montrer les pratiques en action.

  • apporter des concepts aux phénomènes étudiés et évoqués.

Les travaux de recherche utilisés comme ressource de formation peuvent, à ce niveau, représenter la part théorique de la formation.

 Quel est l’intérêt d’utiliser des travaux de recherche comme ressource de formation ?

Cette question, dont la réponse peut sembler intuitive, invite à clarifier les intentions spécifiques de l’utilisation des travaux de recherche.

  • Ramener le réel en plongeant les formés « au cœur des situations de classe »

Les travaux des LéA s’intéressent soit à des problématiques de classes soit à des problématiques plus larges, qui englobent un fonctionnement global d’un ou de plusieurs établissements. Peu importe l’échelle de la recherche, elle se fonde toujours sur une collecte de données qui permet ensuite de mener une analyse. C’est précisément cette collecte de données qui peut être utilisée comme ressource de formation, car elle porte avec elle le réel observé dans les classes ou les établissements. C’est ensuite ce réel qui peut être mis au travail par les formés.

  • Accélérer la diffusion des apports de la recherche

Bon nombre d’enseignants font le constat d’un fossé temporel entre les avancées des recherches, notamment en éducation, et la mise en œuvre pratique dans les classes. Cette diffusion dans un processus de formation peut alors contribuer à combler un peu ce fossé, pour mettre à disposition des acteurs de terrain les travaux de recherche actuels.

  • Dépasser l’expérience empirique

Les trajectoires professionnelles des enseignants évoluent souvent à partir d’échanges informels avec tel ou tel collègue, de difficultés rencontrées ou d’intentions morales et personnelles. L’utilisation de travaux de recherche comme ressource de formation peut ensuite permettre de dépasser cette expérience empirique, en étayant le choix par un raisonnement argumenté qui se fonde sur la recherche. Ces choix éclairés contribuent ensuite à mettre en place une réelle liberté pédagogique.

 Comment transformer un résultat de recherche en ressource de formation ?

Si les intérêts sont multiples, il convient ensuite de s’interroger sur les adaptations nécessaires pour transformer un travail de recherche (comme une collecte de données) en ressource de formation. Nous présentons ici une proposition de modification contribuant à cette didactisation.

 Rendre anonyme

Si la collecte de données vise à ramener des situations réelles au cœur de la formation, il convient de préserver l’anonymat des personnes concernées par la collecte avant de la diffuser. Cela peut, dans notre cas de vidéo, passer par le floutage et l’anonymisation des retranscriptions.

 Mettre en réflexion : filtre de consigne

Si la collecte de données est soumise à un filtre analytique dans le cadre d’un travail de recherche, son utilisation en formation peut-être accompagnée d’un canevas de consignes. Ces dernières visent à mettre la ressource en travail par les formés pour engager les réflexions.

 Mettre en confrontation : partager les point de vues

La mise en commun des réflexions des formés suite au travail sur la ressource permet d’exposer divers points de vue. C’est précisément cette navigation entre les avis différents qui peut être un moyen d’aiguiser son sens critique, pour “permettre des formes d’entraînement individuelles ou collectives à l’agir professionnel.” (2)

Conclusion

La diffusion des travaux de recherche des LéA permet donc de valoriser et d’essaimer la démarche de tâtonnement qui structure l’action enseignante au quotidien. Cette diffusion spécifique dans la formation des enseignants est alors l’occasion d’enquêter, de former à l’enquête et de faire réfléchir aux manières d’enquêter. Après avoir tenté cette diffusion d’une vidéo de notre travail de recherche dans plusieurs actions de formations, on note un intérêt des collègues à propos de la méthode même de l’enregistrement et des entretiens d’auto-confrontation. Plus qu’une méthode de collecte de données en recherche, la diffusion de cette démarche en formation en fait aussi une méthode de collecte pédagogique, notamment pour évaluer le travail en groupe et l’engagement des élèves.

Vous trouverez ici le PPT de la présentation :



1- Extrait de matrice du développement professionnel initiée par Michel Develay (2013) Develay, M. (2013). Comment refonder l’école ?, Bruxelles : De Boeck, 290 pages.

2- Bruno Robbes sur une réflexion portée sur la plate forme Néopass@ction