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Les structures de retour à l’école : temps forts du séminaire national du 17 mars 2015

22 / 06 / 2015 | Marianne Durand-Lacaze

Le séminaire du 17 mars 2015 visait les Structures de Retour à l’Ecole (SRE) les plus anciennes et les plus ambitieuses dans leur offre scolaire. Il s’agissait d’offrir un temps de travail entre les acteurs de terrain, les CARDIE et les chefs d’établissement pour aborder sous un angle nouveau, les questions du numérique et du raccrochage, celle de la pédagogie du retour, celle de l’accompagnement des équipes et même celle des questions institutionnelles liées aux SRE.

"Naku te rourou nau te rourou ka ora ai te iwi" (proverbe maori)

Cette journée a mis en lumière le dynamisme renouvelé de ces structures diverses dont les premières ont été ouvertes au début des années 2000. Aujourd’hui, on en compte près d’une trentaine (28) sur tout le territoire. Trois de plus sont en projets avérés pour la rentrée 2015 dans les académies de Bordeaux, de la Guadeloupe et de Poitiers. La capacité d’accueil de ces dispositifs varient. Certains accueillent une vingtaine d’élèves sur 1 ou 2 niveaux, d’autres entre 20 et 50 et d’autres encore entre 60 et 110 élèves (généralement sur 3 niveaux).

L’alternance entre ateliers et séance plénière, lors du séminaire, a été très profitable aux échanges entre participants venus de toute la France. Des intervenants étaient issus de Microlycées, de Lycées de la Nouvelle Chance (LNC) mais aussi de CLEPT (Collège Lycée Elitaire pour Tous) ou de Pôles Innovants Lycéens.

Selon le rapport conjoint de l’IGEN et de l’IGAEN de juin 2013, Agir contre le décrochage scolaire : alliance éducative et approche pédagogique repensée, tous les pays développés sont confrontés au décrochage, mais l’intensité du phénomène varie selon les États et notamment en raison de la dimension éducative et pédagogique apportée par le système éducatif lui-même.

L’Union européenne a adopté une politique commune de réduction du taux des « sorties précoces » dans le cadre de « Europa 2020 ». Elle s’est fixé l’objectif de le réduire progressivement à une moyenne européenne de 10 % en 2020.

En France, on avance communément le chiffre de 140 000 jeunes qui quittent le système scolaire sans qualification ou diplôme. Selon l’INSEE, le taux de chômage des sans-diplôme est environ deux fois plus élevé que celui des diplômés et cette surexposition au chômage est accentuée quand la conjoncture se dégrade.

La majorité des élèves de ces structures sont issus de la voie professionnelle, entre 40% et 100% (pour les SRE qui offrent la filière pro). Dans ce contexte, l’innovation pédagogique est une condition sine qua non pour concrétiser le droit au retour des jeunes déscolarisés pour qu’ils redeviennent des élèves. Ces SRE garantissent l’objectif du diplôme, en particulier le baccalauréat, conformément au droit à un niveau minimum de qualification selon le décret 2010-1781 du 31.12.2010. Le taux de réussite moyen au bac des SRE existantes a été de 81, 4 % en 2014.

Le retour à l’école des 16-25 ans est encouragé institutionnellement. Il permet à des élèves de se rescolariser en 1ère, voire en 2 nde (ou l’équivalent).

Apprendre dans les structures SRE

L’enseignant seul ou en co-animation veille à ce que l’élève puisse "apprendre sans maître". Le principe du maître ignorant qui ne dit pas ce qu’il sait mais qui est là pour accompagner l’intelligence de l’élève est un principe sous-jacent de l’enseignement dans ce type de structure. En atelier, un professeur a raconté comment, lui comme le reste de son équipe éducative, ont été surpris de constater combien les élèves étaient capables d’apprendre seuls, mais qu’il fallait leur laisser le temps. L’enseignement en co-animation, deux professeurs de disciplines différentes, permet aux élèves de voir qu’un professeur qui se plie au jeu de cet exercice peut être corrigé par un autre spécialisé dans une autre discipline. Le travail de l’enseignant consiste alors - quand il ne s’agit pas de sa discipline- à vérifier avec le regard de l’autre professeur, que l’élève peut "apprendre sans maître" mais avec un accompagnement bienveillant qui développera son autonomie dans la découverte des connaissances et des savoirs.

La pédagogie du détour est-elle particulièrement adaptée aux élèves décrocheurs ?

Dans l’atelier consacré à la pédagogie du détour, il est ressorti que le détour se justifie plutôt dans le cadre de la scolarité obligatoire dite "classique". On ne décide pas seul d’apprendre n’importe quoi, n’importe quand...L’enseignant est là pour guider la volonté des élèves. Il s’astreint à ne pas apporter la solution aux élèves. Quand l’enseignant fait un détour pédagogique, est-ce que cela permet à l’élève de faire son propre chemin ? Les cours magistraux ont très majoritairement disparu des écoles. De même, Stéphane Bonnery, maître de conférence à l’université de Paris 8, auteur de Supports pédagogiques et inégalités scolaires (Édition La Dispute, 2015) animateur de cet atelier, a rappelé que tous les professeurs, aujourd’hui, font ressortir dans leur séances les représentations socio-culturelles des élèves pour construire leur cours. Signaler aux élèves que les représentations qu’on a fait émerger avec leur concours sont erronées pour étudier tel ou tel objet avait un sens autrefois mais notre rapport au monde a changé depuis janvier 2015. L’important, maintenant comme hier, est de confronter l’élève à un raisonnement dont il ne soupçonnerait pas l’évidence. le chercheur a insister pour déconstruire et interroger le monde autrement et surtout montrer aux élèves ce qu’ils ont fait depuis le début de la séance, insister sur "ce" chemin parcouru. Stéphane Bonnery interroge les acteurs du terrain : "Est-ce que rentrer dans une pratique sociale familière aux élèves (exemple l’analyse d’un morceau de rap pour étudier ensuite la versification en cours de français), facilite l’attention des élèves ? L’école est-elle un centre de loisirs ?" Jouer avec la frontière de la pédagogie du détour amène des risques dit Stéphane Bonnery. Est-ce que l’enseignant est là pour apprendre à vivre avec le monde ou pour apprendre à l’étudier à ses élèves ? Des interrogations nécessaires dans le contexte actuel depuis janvier 2015.

Le développement national des SRE

Chacun sait que 48 % des jeunes au chômage n’ont pas le baccalauréat : une donnée intégrée aux derniers dispositifs mis en place. En séance plénière, Eric de Saint-Denis, chargé à la DGESCO du développement national des structures scolaires expérimentales et des structures de retour à l’école de type Microlycées, a expliqué qu’aujourd’hui ces différentes structures n’étaient plus dans le viseur de l’institution. Leur développement est encouragé. Les demandes augmentent très fortement. En 2015, il n’existe pas de politique nationale qui impose d’en haut la création de ces structures dans telle ou telle académie, chaque académie se saisit de projet et crée de nouvelles SRE. Comparées aux Écoles de la Seconde chance qui ne conduisent pas in fine à une qualification, elles sont diplômantes : un atout dans le contexte du chômage des jeunes.

Aujourd’hui, on peut proposer à un jeune qui "raccroche" une offre de formation qui ne soit pas seulement sur la filière des baccalauréats professionnels. Le schéma volontariste est ainsi abandonné pour une politique incitative. De même, les corps d’inspection sont invités à établir une communication élargie autour des pédagogies initiées dans ce type de structures. Des conventions biennales ou triennales sont établies entre ces structures SRE et les rectorats.

Naku te rourou nau te rourou ka ora ai te iwi

Avec cette formule maori ("Avec ton panier de chasse et le mien, chacun aura assez" ou With your basket and my basket the people will live), François Muller, intervenant, directeur du DRDIE à la DGESCO qui travaille sur la formation des cadres et le développement des réseaux, a voulu signifier que les solutions étaient souvent là mais circulaient peu car les équipes n’étaient pas suffisamment connectées en réseaux.

Concepteur de RESPIRE, réseau social de l’éducation, François Muller a annoncé la création sur RESPIRE d’un groupe "structures de retour à l’école" dans lequel, l’internaute peut trouver le nom et les coordonnées de l’administrateur, ceux des membres, des sous-groupes et des ressources. Le partage des questions et la mise en commun des ressources sont à ses yeux essentielles pour relever le défi d’un développement réussi des SRE. Travailler à la constitution d’un inventaire collectif des ressources est une autre façon de créer de la compétence.

François Muller est également l’auteur de plusieurs sites en ligne qui font référence (« Diversifier ») et de plusieurs ouvrages dont le Manuel de survie à l’usage de l’enseignant même débutant, 4ème éd.

L’équipe et sa collégialité

Catherine Perotin, directrice adjointe de l’Ifé pilote le projet européen TITA dont le but est d’analyser le travail multi-partenarial visant à prévenir le décrochage scolaire.
La volonté de multiplier à l’échelle européenne les SRE qui ont fait leurs preuves est à l’ordre du jour. Ces structures ont toutes en commun d’avoir des espaces partagés, des contrats écrits, des projets en œuvre et d’autres en construction : un atout à partager. Comment faire profiter les différents systèmes scolaires européens de ces pratiques innovantes ? Telle est la commande qui a été passée à l’Ifé.

L’important à ses yeux repose sur le travail en équipe, une gestion des absences adéquate et un accompagnement bienveillant. La question du métier d’enseignant est ainsi au centre des interrogations, qu’on se situe dans les classes dites "traditionnelles" ou en Microlycée. La différence repose sur la formalisation de ces questions en Microlycée et sur le fait que l’équipe y est plus décisionnaire et plus autonome. Travailler en équipe y est facilité par l’introduction systématique d’un "moment dédié" dans l’emploi du temps et le travail du coordonnateur qui n’est pas un chef d’établissement dont la mission consiste à soutenir la cohérence d’équipe. Durant ces travaux d’équipe, les enseignants travaillent sur les postures. Comment faire revenir ces élèves à l’école, eux comme les autres ? Sur ce type de question centrale, en microlycée il y a partage de coordination et de responsabilité. Alors, la question majeure des absences en SRE est-elle gérée différemment dans une SRE qu’en lycée traditionnel ? En Microlycée, le service " Vie scolaire" a disparu, les enseignants gèrent en direct l’absentéisme des élèves (appel téléphonique pour éclairer l’absence et faire comprendre à l’élève que l’essentiel est qu’il soit à l’école). Quand l’élève est joint, on estime qu’il y a 75 % de possibilités qu’il revienne.

Le fait qu’il n’y ait pas de rôle spécifiquement assigné à une personne place la responsabilité de chacun dans la globalité d’un projet collectif. L’accompagnement individualisé des élèves est important pour prendre en compte la psyché des élèves. Créer du lien avec les élèves reste la priorité pour les équipes.

Comment encourager le retour à l’écrit ?

Philippe Goémé, formateur à l’ESPE de Créteil et à l’OUIEP a invité l’assemblée présente à réfléchir sur la cause et la difficulté pour les élèves de revenir à l’écrit à l’école après une interruption de scolarité. Tous les moyens sont bons pour ne jamais lâcher les stylos, prendre en compte les brouillons, demander des compte-rendus, créer "une boutique d’écriture" (principe d’une écriture sous contrainte et dire aux autres ce qu’on a écrit). Des élèves auparavant très éloignés de l’écriture prennent plaisir à cette indispensable pratique pour formaliser, dire et se situer dans leur rapport au monde. « J’écris pour voir ce que j’écrirais si j’écrivais », écrivait Marguerite Duras.

Pour conclure

Comment travailler le projet personnel de l’élève ? Il faut que l’élève soit acteur de sa formation, qu’il puisse avoir plusieurs projections de son parcours possibles.

Cette journée a montrée qu’il ne fallait pas renoncer à réhabiliter les capacités d’élèves qui ne se traduisent pas en termes scolaires et qu’il fallait regarder ces raccrocheurs par rapport à ce que l’école ne leur a pas apporté.


Pour en savoir plus

 DEGESCO : direction générale de l’enseignement scolaire
La direction générale de l’enseignement scolaire
 FESPI : Fédération des établissements scolaires publics innovants
 OUIEP :Observatoire universitaire international Éducation et Prévention.
 Ecole de la Seconde Chance sur le site de l’ONISEP
 L’Ifé, l’Institut français de l’éducation
 Dossier sur le décrochage scolaire sur le site de l’Ifé
 Veille de l’Ifé sur le décrochage scolaire dans le secondaire
 Veille de l’Ifé sur le décrochage scolaire dans le primaire
 Carte des académies scolaires en France
 Projet européen TITA : Les acteurs de la lutte contre le décrochage scolaire en Europe

 Combien de "décrocheurs" ? : de la difficulté de donner un chiffre précis. On estime que 140 000 jeunes, chaque année, quittent le système scolaire sans diplôme. Sont-ils des décrocheurs ?

 Textes de références sur le décrochage scolaire sur Eduscol

 Fondation de France, appels à projets : "ensemble contre le décrochage scolaire"

 Rapport de l’IGEN et de l’IGAEN, juin 2013, Agir contre le décrochage scolaire : alliance éducative et approche pédagogique repensée, n° 2013-59

 Viaéduc : le réseau social de l’éducation, partages, échanges, retours d’expériences, discussions

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