Qu’est-ce que l’innovation et l’expérimentation pédagogiques ?
[(Vademecum ministériel sur l’innovation et l’expérimentation dans le cadre scolaire : "Innover pour une école des réussites"
Sur éduscol, Innover et expérimenter)]
L’expérimentation
Elle a une définition administrative. L’article L314-2 du code de l’éducation prévoit le droit à l’expérimentation pour les établissements scolaires : c’est une marge de liberté par rapport au code de l’éducation que tous doivent respecter. Il s’agit d’une dérogation, accordée par le Monsieur le Recteur.
Qu’est ce que l’innovation, non dérogatoire ? Comment la définir ?
[(Synthèse de l’enquête nationale sur les expérimentations académiques 2019-2020 :
)]
L’innovation
Habituellement, l’innovation est définie comme un "procédé nouveau ou significativement amélioré par rapport à ceux précédemment élaborés", l’"ensemble du processus qui se déroule depuis la naissance d’une idée jusqu’à sa matérialisation".
Quelques synonymes donnés par Le Robert :
– nouveauté, création, changement, nouveau, transformation
– audace, hardiesse, inventivité, originalité
– découverte, invention
L’innovation pédagogique (Vademecum ministériel, novembre 2011)
L’innovation est un levier de changement pour la réussite des élèves : promouvoir l’excellence, lutter contre les inégalités et améliorer la réussite de chaque élève.
L’École refuse l’immobilisme et veut s’adapter :
– aux besoins des élèves
– aux évolutions de la société
– aux connaissances nouvelles dans les disciplines (acquis de la recherche scientifique)
La démarche d’innovation, individuelle ou collective, est au cœur de ces évolutions. Elle touche le cœur du système éducatif : l’acquisition du socle commun, la personnalisation des parcours, les relations avec les parents, l’ambition des élèves ou encore le climat scolaire.
La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005 libère les initiatives, la créativité, les démarches innovantes des équipes enseignantes en proposant un cadre. On n’innove pas pour innover mais pour répondre à un besoin ou une difficulté constatés, en définissant des objectifs précis qui permettront d’y apporter une réponse et seront suivis tout au long de la démarche.
Sont chargés d’accompagner l’innovation :
– Au niveau ministériel : le département de la recherche et du développement, de l’innovation et de l’expérimentation (DRDIE) a été créé au sein de la DGESCO, puis remplacé par le Bureau de l’Innovation Pédagogique
– Au niveau académique : le réseau de conseillers académiques recherche - développement, innovation et expérimentation (CARDIE).
1. Le cadre législatif de l’article 34
L’expérimentation ne se limite pas au champ de l’article 34. Elle peut prendre un sens beaucoup plus souple d’innovation, n’incluant pas nécessairement de dérogation, tout en restant pertinente et justifiée.
L’innovation :
– incarne une démarche de changement d’une certaine ampleur, structurée par des objectifs, des indicateurs, des évaluations et un arbitrage sur l’intérêt ou non de modifier la norme.
– travaille autrement pour répondre d’une manière plus efficace aux besoins des élèves.
– interroge les contenus et les représentations, les pratiques de classe, l’organisation individuelle et/ou collective du travail dans l’école ou l’établissement, le positionnement des enseignants.
– implique pour les équipes une certaine prise de risque qu’il convient d’anticiper et d’accompagner tout au long du processus, d’où l’importance de présenter son projet à la CARDIE et au CVE.
L’innovation contribue à la personnalisation des parcours des élèves
Cette personnalisation, fondée sur des réponses adaptées, peut conduire les équipes à repenser certaines pratiques et organisations scolaires, et à innover pour les adapter à leurs élèves.
Les dispositifs de personnalisation sont habituellement la pédagogie différenciée conduite dans la classe par le professeur, et les dispositifs d’aide (aide individualisée, stages de remise à niveau, accompagnement éducatif / personnalisé).
Les professeurs témoignent des effets positifs de la personnalisation des parcours :
– surcroît de motivation des élèves, ambition scolaire, diminution des redoublements
– dynamique de groupe au sein d’une classe, lien positif créé entre l’élève, les élèves et leurs professeurs
Cette démarche implique une évolution du métier d’enseignant, favorisée entre autres par la démarche d’innovation. Les situations pédagogiques nouvelles provoquent un changement de posture professionnelle chez l’enseignant et rendent possible la reconnaissance du droit à l’erreur et du droit de changer.
L’innovation contribue au développement professionnel
En rompant avec les habitudes pédagogiques, l’équipe engagée dans un dispositif d’innovation se met collectivement à la recherche de nouvelles pratiques, en sollicitant différemment les compétences de chacun, et en en générant de nouvelles : analyser des besoins, identifier des ressources, conduire un projet, chercher des partenaires, réguler l’action, l’évaluer, rendre compte de son bilan.
L’innovation change le regard d’une équipe éducative sur elle-même, sur l’organisation de son travail, la focalisation sur les acquis des élèves, l’expertise apportée par les partenaires, l’analyse partagée de l’action entreprise. L’innovation participe au développement professionnel, grâce aux dispositifs de formation, et au-delà. Elle formalise les connaissances issues de l’innovation, relaye les travaux de la recherche, encourage les enseignants à participer à la recherche.
L’innovation finalisée par la réussite des élèves est l’occasion pour chaque acteur de l’enseignement d’amplifier ses propres compétences et de mobiliser des compétences collectives.
2. Comment conceptualiser et élaborer une innovation ?
Le descriptif initial du projet innovant doit préciser l’objet et le périmètre des changements envisagés. La « taille » de l’action n’est pas l’enjeu premier. Innover, ce peut être simplement « faire un pas de côté », un « micro-changement » qui peut en déclencher beaucoup d’autres chez les élèves, et peut conduire l’innovation à un stade plus ambitieux. L’accompagnement proposé aux équipes par les CARDIE facilitera l’élaboration du projet et son suivi. Il s’agit de créer les conditions dans lesquelles la prise de risque, partagée, devient un élément moteur du projet. Cela implique la mise en œuvre d’une ingénierie de la conduite du changement.
L’organisation
L’innovation, même quand elle vient d’une initiative individuelle, doit être travaillée et enrichie, sous le contrôle du chef d’établissement ou de l’IEN et en collaboration avec le(s) enseignant(s).
Le passage formel à l’écriture est un acte essentiel dans le processus d’innovation. Il permet de structurer les phases d’un projet, de les analyser et d’arriver à des documents officiels et communicables. Le caractère novateur du projet est explicité afin d’être connu de tous.
Il faut élaborer un cahier des charges :
– effectuer un diagnostic
– formuler les effets attendus pour les élèves
– formaliser les principes, clarifier les principales directions
– formuler des objectifs pour les personnels
– organiser l’équipe du projet : définir le rôle de chaque acteur
– former une méthodologie
– organiser les étapes de l’action, les modalités, le calendrier prévisionnel,
– évaluer les moyens nécessaires à la conduite du projet
– prévoir l’évaluation, pour être le plus objectif possible sur les bénéfices qualitatifs et quantitatifs attendus
– prévoir des évaluations intermédiaires, pour apporter les mesures correctives nécessaires.
– prévoir la communication interne et externe des résultats,
– prévoir cette innovation sur un temps suffisamment long : laisser s’organiser le processus dans un rapport au temps qui ne soit pas immédiat. Un temps d’incubation suffisant demeure nécessaire pour que les spécificités de l’innovation se développent.
Le diagnostic
Le diagnostic effectue un état des lieux général à partir des résultats et de l’environnement de l’école. Il permet d’identifier le(s) levier(s) pour piloter le changement et d’organiser la mise en œuvre de l’action :
– identifier les difficultés
– définir les facteurs de réussite,
– repérer et évaluer le potentiel de tous les acteurs.
– identifier le(s) levier(s) d’un changement le plus efficient possible
– analyser tous les acteurs susceptibles d’apporter un élément constructif sur le projet : réseau CARDIE, personnels d’encadrement (corps d’inspection, chef d’établissement), parents d’élèves, etc.
Les évaluations
Évaluer permet de mesurer les effets d’une action pédagogique, de mettre en évidence ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas - ou moins bien - fonctionné, pour quels bénéficiaires. L’évaluation est essentielle à tout acte pédagogique, elle l’est d’autant plus pour un processus d’innovation qui change les pratiques habituelles.
Les pédagogies d’actions innovantes admettent le droit à l’erreur.
La durée d’une innovation est au plus de cinq ans. Des temps d’évaluation en cours d’expérimentation sont indispensables afin d’introduire les correctifs nécessaires. Le bilan terminal tiendra compte de toutes ces étapes par rapport aux objectifs initiaux.
L’évaluation est l’outil qui valide ou non le bien-fondé de l’innovation :
– elle valide le diagnostic,
– en cours d’expérimentation, elle réinterroge les objectifs et le cahier des charges, susceptibles d’évoluer ;
– elle explicite les objectifs à atteindre et les méthodes mises en œuvre : que retient-on des processus d’apprentissage engagés par les élèves, et des nouvelles pratiques pédagogiques utilisées ?
– elle mesure les effets obtenus (qualitatifs et quantitatifs), analyse les écarts par rapport aux effets attendus, et apprécie les améliorations dégagées.
– forger des outils d’évaluation communs. et de construire, les indicateurs adaptés à ces objets
– elle repère des effets inédits qui peuvent s’avérer très pertinents pour la suite.
– elle émane à la fois des élèves et des professeurs
– elle identifie les apports qui décideront de sortir de l’expérimentation, d’envisager une extension, voire une généralisation, à l’échelle locale, académique ou nationale.
– elle se construit avec l’équipe d’expérimentateurs et l’expertise de la CARDIE au niveau académique
– elle fait partie intégrante de la communication
– elle participe à la recherche et au développement collectifs
L’évaluation est ainsi posée comme un outil d’évolution, de changement, d’amélioration.
3. Communiquer sur l’innovation, pourquoi ?
Les acteurs de l’innovation doivent expliciter leur projet et répondre aux questions qu’il pose, pour que la démarche innovante soit en phase avec son écosystème :
– Entrer dans un processus d’innovation intensifie tous les échanges, les rend riches et variés.
– Communiquer sur son projet ou son action aide à la réguler, pas à pas.
– La valorisation des projets innovants renforce la cohésion de l’équipe et fournit une « masse critique » suffisante pour avoir confiance et innover.
– On peut constituer des bases de ressources, à disposition d’autres équipes enseignantes.
– C’est un prolongement pour servir l’innovation, la réussite des élèves, et le développement professionnel de l’équipe éducative.
– C’est un outil qui permet de faire connaître pour mieux profiter de l’expérience de chacun.
– La communication facilite la recherche de partenaires et crée des liens avec la recherche universitaire.
– Les nouveaux gestes et postures professionnels gagnent à être transmis pour contribuer au développement professionnel des enseignants.
– Les traces écrites, enregistrées, filmées, l’écriture réflexive, les points de vue des acteurs, les études des chercheurs sont d’une grande importance.
La communication en interne est primordiale, mais communiquer avec la CARDIE via les saisines et le CVE est indispensable. Alimenter la base de données nationale Innovathèque est aussi essentiel.
4. Accompagner et soutenir les innovations
Parce qu’elle implique des remises en cause de pratiques, l’innovation est un processus qui peut soulever des difficultés, voire des résistances non anticipées auprès des équipes pédagogiques. La CARDIE et les personnels d’encadrement et d’inspection sont les mieux à même d’accompagner ces changements de pratiques.
Intégrer dans l’organisation du travail d’une équipe innovante un « ami critique », permet une régulation de l’activité et un enrichissement de l’évaluation.
L’accompagnement de l’innovation est coordonné par le Bureau de l’Innovation Pédagogique au niveau national et par les CARDIE en académie :
– Pour développer les innovations émanant des établissements, organiser un suivi de proximité
– Pour les expérimentations impulsées au niveau académique, mettre en place des groupes de pilotage
– Développer des partenariats avec la recherche permettant de conforter les premiers résultats repérés et pressentis dans les innovations, par des études scientifiquement plus étayées
– Repérer des pratiques innovantes susceptibles d’être réinvesties en formation et en animation pédagogique
– S’affilier à des réseaux ou communautés de pratiques dans le but de mutualiser les démarches et les réussites
– Identifier des ressources de formation à la conduite du changement et à son ingénierie
– Ouvrir des espaces numériques partagés pour les ressources nécessaires au développement de l’innovation
– Renforcer l’action grâce au partenariat local, externe ou interne au système éducatif.
5. Apprendre de l’innovation : en tirer les enseignements
Au terme de l’expérimentation, plusieurs préconisations peuvent émaner de l’équipe d’expérimentateurs ou de la CARDIE :
– reconduction de l’expérimentation avec des modifications significatives,
– arrêt du projet,
– extension voire généralisation.
Le protocole d’expérimentation, conçu le plus scientifiquement possible et basé sur le cahier des charges et les évaluations, permet de tirer les enseignements de l’innovation. Il est rendu public. Cela conditionne la légitimité et la reconnaissance du statut de l’action menée. La fin d’une innovation doit être actée par une décision institutionnelle.
Pourquoi présenter une innovation au CVE ?
Pour :
– bénéficier de l’aide institutionnelle (expertise, formations) de la CARDIE dans toutes les étapes du projet ;
– obtenir une légitimité dans son établissement ;
– faire connaître son projet, dans un souci de partage de pratiques efficaces.
L’innovation en résumé
L’École et les enseignants doivent sans cesse évoluer pour s’adapter au monde actuel et aux besoins des élèves. L’innovation est un levier de changement précieux pour la réussite de tous les élèves.
Pour être efficace et porteuse de sens, l’innovation, même non dérogatoire, doit se faire dans un cadre précis, scientifique. Le responsable de ce cadre à l’échelle académique est la CARDIE. Par l’intermédiaire de la saisine et du CVE, elle aide les enseignants et établissements à concevoir les objectifs et le cahier des charges de leurs projets : objet, objectifs, périmètre, principes, diagnostic, organisation de l’équipe, méthodologie, étapes, modalités, calendrier prévisionnel, moyens nécessaires, ressources extérieures, évaluations (intermédiaires et finales), communication interne et externe.