C.A.R.D.I.E. - E.A.F.C. Cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation

Première rencontre du GT sur les pédagogies coopératives de la CARDIE de Créteil

08 / 12 / 2020 | Anaëlle Weiss

Le 18 novembre 2020.

Nous exposons ici notre réflexion collective dans laquelle s’enracine la démarche par tâtonnement que nous souhaitons mettre en partage.

ACTION PÉDAGOGIQUE EXPLORÉE :
“CONSTRUIRE UN COLLECTIF AU SERVICE DES APPRENTISSAGES”



CONSTATS

Faire coopérer les élèves repose sur des outils et des manières de faire qui nécessitent un investissement individuel au service d’un collectif qui se construit autour d’une tâche ou d’une ambition partagée comme “apprendre”. La construction d’un tel collectif est conditionnée à, et conditionne en même temps, la mise en place d’un climat de confiance hors menaces et hors jugements.

Par ailleurs, le système éducatif multiplie parfois les renvois à la responsabilité individuelle dans le cadre des apprentissages mais aussi dans la gestion des problématiques de vie scolaire. Cette montée en puissance entraîne une centralisation sur l’individu et encourage ainsi l’individualisme, oubliant peut-être qu’il évolue dans un collectif à l’échelle de la classe et de l’établissement qui influence ses problématiques.

La construction du collectif au service des apprentissages n’est pas, et ne saurait pas être, spontanée. Peut-être peut-elle s’établir en visant à resserrer les liens entre élèves et avec les enseignants autour d’une construction commune. Reste alors l’essentielle et nécessaire question du “comment faire ?”

Notre objet d’étude est donc la problématique suivante :

Comment créer un collectif, au service des apprentissages, qui reconnaît et respecte les singularités de chacun ?



Dans le secondaire, cette construction semble être davantage freinée que dans le premier degré, notamment par la parcellisation et le cloisonnement disciplinaire des enseignements.

Par conséquent, si la prise en compte de la construction du collectif doit, et peut, se faire dans le cadre classe lors des enseignements disciplinaires, elle doit aussi s’instituer en dehors de la classe. Il convient alors de considérer deux champs d’action supplémentaires hors de l’espace “classe” : la reprise dans la vie de l’établissement (CVL, vie scolaire, …) et la nécessité d’instituer du collectif du côté enseignant.

Que ce soit dans le secondaire ou dans l’élémentaire, cette construction rencontre des difficultés comme le jugement entre les pairs et les différentes singularités qui entrent souvent en confrontation, …

DÉBAT

Le climat de confiance devrait être un préalable à toute activité d’enseignement afin que les élèves se sentent en sécurité et autorisés à s’exprimer. Dans une classe coopérative, où les échanges entres pairs sont au cœur des pratiques (conseils d’élèves, travail de groupe, entraide), où les adultes sollicitent l’engagement des élèves sur des questions plus larges que celle de l’enseignement, et promeuvent la prise en compte de la parole de l’élève, l’instauration d’un climat de confiance devient alors incontournable.

Elle semble être un préalable aux déploiements des pratiques coopératives. En effet, il faut que les élèves se sentent autorisés à s’exprimer dans le groupe sans crainte du jugement d’autrui pour pouvoir échanger et donc participer aux relations d’entraide entre pairs visées par ces pédagogies.

La construction du collectif est-elle conditionnée par la création au préalable d’un climat de confiance ou est-ce parce qu’on fait collectif que ce climat est automatiquement créé ?

VIGILANCES

 Construire un climat de confiance ne repose pas uniquement sur le développement de l’empathie

Il ne s’agit pas là uniquement de considérer l’empathie, qui se focalise sur les perceptions individuelles, mais bien d’élargir la focale de réflexion en cherchant à instaurer davantage le collectif pour faire prendre conscience aux élèves qu’ils forment un collectif dans les pratiques en classe et en dehors. Creuser d’autres pistes qui permettent de considérer l’autre dans sa singularité sans forcément se mettre à ressentir ce qu’il ressent, car pour certains élèves, c’est peut-être aussi un point de blocage, ils ne veulent pas ressentir ce que ressent l’autre (peut-être trop fragilisant pour eux).

 Considérer l’autre dans sa singularité

L’hétérogénéité est alors perçue comme un moteur et une ressource à mobiliser plutôt qu’un obstacle, un frein à gérer.

 Des constructions diffuses

Il serait sans doute vain de chercher un ou des outils spécifiques permettant d’accommoder la construction du collectif. En effet, cela s’établit sans doute par la synergie de différents outils et pratiques mais aussi en filigrane par une pédagogie coopérative globale.

Néanmoins, nous essaierons de mettre en lumière quelques outils qui y contribuent plus spécifiquement, afin de mesurer leur efficacité.

PROPOSITION DE STRUCTURATION DE NOTRE ACTION PÉDAGOGIQUE

Une action pédagogique peut se structurer autour de trois pôles interdépendants (théorisés par Jean Legal)
 Des valeurs : pôle axiologique
 Des connaissances : pôle épistémique
 Des outils : pôle praxéologique

Canevas réflexif emprunté aux travaux de Philippe Meirieu



Notre groupe se propose de guider sa réflexion sur ces trois piliers autour de notre action :
“Comment construire un collectif au service des apprentissages ?”

LES VALEURS

Elles peuvent viser le niveau du quotidien de la classe (par exemple Instaurer un quotidien heureux) et à une échelle plus large viser le futur citoyen
 Respect de la singularité de chacun qui nourrit le climat de confiance et le collectif
 Veiller au bien-être des élèves à l’école
 Émanciper des citoyens éclairés
 Respecter et promouvoir la parole de l’élève : considérer l’élève comme un interlocuteur valable
 Offrir des alternatives à l’individualisme
 Développer les solidarités, le partage humain
 Instaurer un quotidien heureux à l’école

LES OUTILS

Des outils pour construire ce collectif peuvent être déployés dans des temporalités et des espaces multiples :
 Au moment de l’accueil des élèves en début d’année dans la classe et dans l’établissement.
 Au fil de l’eau des enseignements : messages clairs, marchés de connaissance, ...
 Dans la classe au niveau disciplinaire (ex : cours des SVT, d’Histoire, …)
 Dans la classe hors champ disciplinaire (ex : heure de vie de classe, AP, ...)
 Dans l’établissement sur la vie scolaire (ex : permanence, la cour, instances, CVL...)

Ces outils peuvent s’appliquer à des effectifs variables à différentes échelles : binômes, groupes de 3 ou 4, classe, niveaux, établissement, …

Ils peuvent être éprouvés à la réflexion suivante : “cet outil permet-il bien d’accueillir les singularités de chacun pour faire du commun ?”

Un outil des classes coopérative qui semble spontanément répondre à cette exigence est le conseil d’élève.

Retours et analyses de pratiques de conseil d’élèves en lien avec cet objet d’étude :
“Un conseil d’élève qui démarre mal, ils n’osaient pas parler, un ou deux élèves dont l’un est observateur s’empare du conseil en se moquant, … par son comportement il empêche les prises de paroles. Les élèves n’osaient pas le reprendre. L’enseignant a dû reprendre la main, non pas en sanctionnant l’élève mais en rappelant l’importance de reprendre l’élève afin que le conseil puisse être utile et bénéfique à toutes et à tous.”
Ce rappel a permis aux élèves de se sentir autorisés à sanctionner cet élève et a fait prendre conscience à tous de l’importance du climat de confiance.
Sentiment de justice indispensable pour que les élèves se sentent en confiance.

Le groupe de travail vise à explorer et tester d’autres outils permettant la construction de ce collectif.

LES CONNAISSANCES

Quelques points de connaissances issus de nos pratiques…

… sur le collectif :

 En faisant varier l’effectif du groupe, les élèves qui tiennent difficilement compte des autres n’ont plus le monopole de la parole (ex : passer par petits groupes permet à tous les élèves de prendre la parole et le statut de chaque élève peut changer)
 Le conformisme qu’on s’impose lorsqu’on est en groupe ou que le groupe nous impose (calque une image) empêche le respect de la singularité de chacun, ce qui limite le climat de confiance et freine la recherche du commun et donc le collectif.
 Les retours d’expériences en classes coopératives montrent que les élèves sont capables de former un collectif dans un cadre avec des règles comme le conseil d’élèves ou les heures d’entraide mais qu’une fois sortis de ces instances organisées, les élèves ne transposent pas nécessairement le fonctionnement en collectif dans les enseignements disciplinaires. Peut-être faut-il construire un sentiment d’appartenance au travers de valeurs partagées pour que cela irradie dans chaque matière ?

… sur le climat de confiance :

 Personnification du ressenti : “se mettre à la place de”
 Vivre une expérience agréable en lien avec le collectif semble être une condition pour y contribuer ensuite (“C’est parce que j’ai vu que le collectif prenait soin de moi que j’ai envie d’y contribuer”, ex : c’est parce qu’on m’a écouté quand j’ai parlé que j’ai envie d’écouter mon camarade quand il parle … mais cela ne semble pas suffire !)
 Pour des profils de personne harceleurs (souvent des anciens harcelés) : l’autorégulation ne fonctionne pas
 Le cadre de règle normative comme le respect de la parole et le rôle de protecteur de parole contribuent à permettre la bienveillance dans le groupe

QUESTIONNEMENTS

 Comment réussir à respecter les singularités dans un collectif (en lien avec une réflexion sur le conformisme de groupe)
 Le conformisme de groupe est en lien avec l’effectif du groupe (cf film “the we and the i”)
 “faire collectif”, est-ce simplement chercher à resserrer les liens humains ou plutôt à faire un commun ensemble ? Si le but est de faire du commun alors les liens se font automatiquement, si le but est de faire du lien il n’y a pas forcément de partage de commun mis à part les liens eux-mêmes.
Exemple : je fais partie d’un collectif car les autres membres partagent des liens avec moi, mais je ne partage peut être pas de commun avec eux (ex : famille,) / Je fais collectif avec des gens avec qui je ne partage pas forcément d’affinités, mais ensemble nous avons un objectif commun comme gagner le match de foot.

PERSPECTIVES

Réfléchir ensemble à quelques outils puis les tester dans les classes ou l’établissement avant de faire une rétroaction collective.

APPORTS RÉFLEXIFS SINGULIERS

Laurent

Faire collectif, c’est faire en sorte que dans un groupe, chaque individu sente qu’il peut apporter des choses aux autres membres du groupe et que, réciproquement, il sente que chacun peut lui apporter des choses.

Cet état de solidarité réciproque au service des apprentissages nécessite donc deux conditions :

 De la différence entre les individus. Il faut que les individus aient tous des choses à apporter et qu’ils soient donc suffisamment différents pour pouvoir aider ou demander de l’aider.
Cette condition est remplie de fait par l’hétérogénéité marquante d’un groupe classe.

 De la ressemblance entre les individus. En effet, la parole d’autrui est plus crédible si il n’est pas trop éloigné de soi en termes de niveau et de valeur, et je me sens plus enclin à le solliciter si il me ressemble.

Cette condition n’est pas remplie de fait et se trouve donc, selon moi, être ce à quoi il faut travailler en cherchant à faire du commun.

Marianne

Pour moi, l’enjeu c’est comment on fait pour que nos élèves éprouvent l’intérêt qu’il y a pour chacun d’entre eux à faire collectif avec ce que cela inclut en termes d’écoute, de respect de ce qu’est l’autre, etc).

Dans les classes coop, il y a un certain nombre de prescrits par exemple “on s’écoute”, on s’aide, on fait ensemble ” mais peut-être ne travaille-t-on pas assez à expliciter (ou à faire éprouver l’intérêt de ces injonctions).

La question du climat de confiance est indispensable mais n’est qu’un aspect de cette problématique.

Leila

Que chacun puisse être dans le groupe : pour que le groupe existe véritablement, je pense qu’il faut que chacun puisse en être un membre écouté, respecté et acteur. Pour que chacun puisse exister dans ce groupe, il faut un travail sur soi et sur le groupe :

 le travail sur soi : ce que je suis (ma singularité), mes forces et mes faiblesses pour moi mais aussi dans un cadre collectif
 le travail du groupe : réfléchir à comment intégrer les forces que chacun peut/veut apporter mais aussi essayer d’aider au maximum chacun des membres à “mieux vivre” ces faiblesses.

Un peu à l’image de ces avatars (merci Laurent) et des personnages de jeux vidéos, se construire un personnage le plus fidèle à ce qu’on est avec nos points forts et points faibles et utiliser tous ces personnages (ensemble ou à tour de rôle) en fonction du défi collectif à relever.

Je crois aussi beaucoup à l’effet effectif variable du groupe. En effet, le travail sur soi et son expérimentation au sein du groupe créent des enjeux différents en fonction de l’effectif du groupe mais aussi varier ses membres. Autant dans le travail pédagogique il peut y avoir une importance au groupe stable, autant dans l’apprentissage des liens entre les individus la variation de l’effectif et des membres me semble importante.

Tiphaine

Je pense qu’il faudra bien qu’on définisse le sens du mot “collectif” sur lequel on voudra travailler car il peut exister, comme l’ont révélé nos échanges, à différentes échelles et surtout peut concerner différentes choses. Si nous ne visons pas le même collectif, nous ne viserons pas les mêmes objectifs.

Et pour retrouver la présentation de ce GT et de ses membres, c’est ici !