"Quels sont les apports des neurosciences appliqués à la pédagogie en 2014 ?" : conférence de Jean-Luc Berthier
Quels ont les apports des neurosciences appliqués à la pédagogie en 2014 ? Jean-Luc Berthier, proviseur honoraire, ancien responsable de formation à l’ESENESR présente aux personnels de direction en formation initiale, leur future part de responsabilité dans la mise en œuvre de pratiques pédagogiques innovantes dans leur établissement. C’était le 3 décembre à Tournan-en-Brie (77).
Pourquoi ne pas améliorer les modalités de l’enseignement à l’aulne des neurosciences ?
Être vigilant sur les modalités pédagogiques inadaptées au fonctionnement du cerveau, s’informer de l’avancée des sciences cognitives pour être en mesure d’impulser une politique du changement, voilà quelques-unes des pistes que Jean-Luc Berthier a proposé d’explorer le temps d’une conférence, à l’auditoire des stagiaires-PERDIR dans l’amphithéâtre du lycée Clément Ader de Tournan.
Pour faire changer les pratiques et s’adresser aux 900 000 enseignants de l’académie de Créteil, le proviseur honoraire Jean-Luc Berthier a souligné l’importance du maillon institutionnel des chefs d’établissement, responsables administratifs et pédagogiques, aussi et surtout. Ils constituent, en effet, un levier d’impulsion formidable capable de relever l’enjeu de la réduction des fractures scolaires.
Après avoir rappelé l’importance de l’interconnexion des différentes mémoires d’un individu : la mémoire sémantique, celle de l’expertise, la mémoire épisodique, la mémoire procédurale et enfin celle du travail, Jean-Luc Berthier a rappelé « que ce qu’on retient est ce qu’on est capable de redire. » Pour optimiser les capacités d’apprentissage des élèves, les enseignants doivent veiller à à enrichir cette mémoire sémantique, sorte de réservoir des concepts et du vocabulaire. Mal entendus ou mal compris, ils deviennent inopérants. Or le cerveau vient puiser dans la mémoire sémantique les éléments qui lui permettent de résoudre une tâche complexe. Les pratiques enseignantes réactivent-elles suffisamment les traces laissées dans le cerveau au cours des apprentissages ? Si les traces de ces références sémantiques ne sont pas stimulées, elles disparaissent et il sera de plus en plus difficile à l’élève de mobiliser ces éléments pour résoudre un problème. Les travaux des chercheurs montrent que si les élèves ont des difficultés, elles proviennent pour une très large part d’une mémoire sémantique mal consolidée.
Concrètement, les enseignants demandent par exemple, aux élèves de lire, de faire des opérations élémentaires, des gestes (en EPS ou autre). Or ces apprentissages réclament un entraînement, une répétition pour être acquis en profondeur. Mais ont-ils eu assez de temps pour les assimiler sous forme d’automatismes pour s’inscrire dans leur mémoire procédurale ? Or le cerveau mobilise les éléments de cette mémoire sans réapprendre, sans fatigue et très rapidement, une fois acquis, telle la conduite automobile. Laissons-nous suffisamment de temps à l’apprentissage de ces automatismes dans les enseignements ? Cette mémoire fluide par "définition" associée à une mémoire sémantique nourrie et consolidée permet à l’élève de puiser dans sa mémoire de travail de manière optimum. Nous savons scientifiquement que les élèves ont en France plus qu’ailleurs un déficit de références sémantiques, de mémoire procédurale et des capacités d’inhibition moins développées qui facilitent normalement la concentration. Le cerveau bloque, en effet, ce qui pourrait le distraire. Cette capacité est plus développée chez les élèves qui ont une pratique musicale ou sportive habituelle.
Les chercheurs ont apporté la preuve que l’empan mnésique (la mémoire immédiate) dépendait des liens qu’on pouvait faire ou ne pas faire : qu’il se développait par accroissement des connaissances, par la fluidité de traitement et l’accroissement de la concentration. Alain Lieury, chercheur en sciences de l’éducation ou en sciences cognitives ??, a travaillé sur les publics scolaires. Il explique que si on demande à des élèves d’apprendre 15 mots, puis qu’on leur demande de les dire de mémoire immédiatement, 7 mots seront retrouvés, deux minutes plus tard 2,5, qu’il faut 3 à 6 essais répétés pour qu’ils soient acquis à 100%, qu’ils en restera 2, 3 semaines plus tard, puis 3 semaines encore plus tard, sans prévenir toujours, 5 mots seront retrouvés. L’importance des réapprentissages dans nos enseignements est une pratique cruciale, pourtant négligée parfois. Si l’évaluation est faite trop près de la séquence d’apprentissage, les capacités de restitution et de compréhension sont impactées.
Il y a à s’interroger sur l’hétérogénéité des mémoires des élèves, sur la formation insuffisante des enseignants aux neurosciences, sur le développement de formations entre paires sur ces sujets. L’intérêt est grand pour les pédagogues de s’emparer de l’apport des neurosciences sur la façon dont notre cerveau apprend à apprendre et aux chefs d’établissement de sensibiliser les équipes pédagogiques et éducatives sur cet apport scientifique pour faire réussir les élèves.
Pour en savoir plus
– Jean-luc Berthier et Alain Bouvier, La formation des cadres et personnels de direction à l’Éducation nationale, Berger-Levrault, collection Les indispensables, octobre 2010.
– Jean-Luc Berthier, Les leviers humains dans le management de l’EPLE, Hachette Education, collection Management & éducation, juillet 2006.
– Alain Lieury, Mémoire et réussite scolaire, Dunod, 4e édition, 2012.
– ESEN, École supérieure nationale de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche