Conseil d’élève : le retour d’expérience d’Arnaud
Pourquoi un conseil d’élèves ?
Au départ, pour donner la parole aux élèves. Comme d’autres enseignants, j’ai tendance à monopoliser la parole en classe, et l’envie (le besoin) s’est fait ressentir de leur donner un espace de parole à eux. Pour s’exprimer, critiquer, commenter, partager, proposer, ou juste écouter les autres.
Mais aussi pour essayer de régler cet autre constat : j’étais trop souvent pollué par des petits conflits à régler entre élèves, qui prennent énormément de temps pour un bénéfice assez peu sensible...
Enfin, parce que j’avais envie de donner la main aux élèves pour qu’ils soient acteurs de leur vie à l’école (partiellement bien sûr, de façon contrôlée, mais un peu quand même). Je râle trop souvent (intérieurement mais pas que) en constatant que les élèves sont passifs, ont du mal à se mobiliser sur des projets, même construits et intéressants (si, si !). Alors en institutionnalisant la possibilité pour eux de faire des propositions, j’aurais peut-être un peu plus de réussite.
Le contexte
J’ai une classe de CM1 (25 élèves), ayant des attitudes scolaires peu installées (vécu scolaire difficile ces dernières années, très hachées par l’intervention de très nombreux enseignants successifs en peu de temps), plutôt (très) passive et peu motivée (quel que soit le domaine).
J’éprouvais un intérêt (de curiosité, mais pas seulement) depuis quelques temps pour les pratiques coopératives, sans connaître qui que ce soit les pratiquant, sans savoir comment et par quoi commencer. J’en connaissais juste des bribes, glanées sur des sites ou blogs d’enseignants eux-mêmes suffisamment coopératifs avec leurs semblables pour partager leurs expériences et leurs pratiques.
Ma décision a été prise cette année de lancer des ceintures de connaissances/compétences en mathématiques pour travailler et évaluer les notions de l’année scolaire, puis petit à petit de lancer d’autres pratiques par petites touches (conseil d’élèves, tutorat, messages clairs...), principalement en appui sur le livre de Sylvain Connac, Apprendre avec les pédagogies coopératives.
Lancement de l’activité du conseil d’élèves
J’ai décidé de suivre en grande partie les méthodes décrites dans le livre de Sylvain Connac pour lancer le conseil en appuyant sur les idées suivantes :
– le premier conseil a été dirigé par moi, mais seulement celui-ci ;
– j’essaie (mais c’est difficile) d’intervenir le moins possible et surtout pour faire reformuler, pour éviter les dérapages (bouc émissaire, attaques personnelles, langage...), ou pour recadrer un président en difficulté (sur la gestion de la parole, principalement) ;
– les élèves s’inscrivent sur un frigo (affichage A3 dans la classe) en mettant leur nom dans l’une des trois cases correspondant aux trois moments du conseil (critiques, félicitations, propositions et projets), ils ont depuis le lundi matin jusqu’au vendredi midi pour le faire, le conseil ayant lieu le vendredi après-midi ;
– les élèves ne disent pas à l’avance ce dont ils vont parler, leur parole est entièrement libre (avec ce que ça demande de réactivité au moment du conseil) ;
– pour s’aider, le président et le secrétaire (sur la fin de l’année, j’ai rajouté un second secrétaire pour aider la prise de notes) ont une trame avec le détail du déroulement du conseil et quelques mots-clés de lancement, ainsi que ce qu’ils doivent dire/faire au fur et à mesure du conseil ; ils ont aussi une fiche à remplir pour le compte-rendu du conseil, qui est systématiquement collé dans un cahier à disposition dans la classe (les élèves peuvent ainsi relire ou revenir sur les décisions ou discussions des conseils précédents) ;
– les projets ou propositions des élèves sont discutées, puis reformulées par le président et votées à la majorité (je me suis engagé en début d’année à tout faire pour permettre à leurs décisions, du moins celles qui étaient acceptables en terme de temps et de contenu, de se réaliser) ;
– en début de séance, le président de séance choisit parmi les volontaires son (ses) secrétaire(s) ;
– en fin de séance, après la clôture du conseil, le président du prochain conseil est élu à la majorité parmi les candidats (seuls ceux n’ayant eu aucune remarque de comportement de la semaine peuvent se présenter).
Je ne le cache pas, les deux premiers conseils ont été laborieux, mais (grâce à un bon choix de la part des élèves des premiers présidents) ils se sont assez vite emparés de ce conseil. A noter que la prise en compte de l’espace est importante : une classe en U dans laquelle tout le monde peut se voir et se parler est bien plus propice à une bonne séance que des ilots ou des rangs (ce qui demande un moment de mise en place).
En ce qui concerne le temps du conseil, j’avais commencé en me fixant une demi- heure chaque semaine mais c’est très court, j’ai fini par opter pour une heure de conseil, mais toutes les deux semaines (sinon c’est vraiment chronophage, même si c’est extrêmement riche).
Un exemple de séquence au sein du conseil
Je ne vais pas ici décrire en long et en large l’ensemble des discussions d’un conseil en particulier mais plutôt une thématique revenue sur plusieurs mois au fil des conseils et sur laquelle des décisions d’actions ont été prises par les élèves, avec plus ou moins de réussite.
Dans l’un des premiers conseils, puis de façon récurrente par la suite, des élèves ont critiqué le déroulement de leurs jeux durant les temps de récréation. C’est typiquement le genre de choses auxquels, si j’avais pris la parole, j’aurais mis un terme très rapidement. J’aurais eu tort.
Entre les tricheurs, les mauvais joueurs, ceux qui choisissent les jeux qui les arrangent et négligent les autres, ils mettaient au jour plein de petits comportements qui polluent la vie collective, sans savoir y trouver une réponse. Ils ont fini, un peu guidés par mes suggestions (on ne se refait pas), par décider d’écrire et de signer des règles pour leurs jeux de la cour. Dans un premier temps, ils avaient rejeté la proposition de faire un planning des jeux. Bien évidemment, après plusieurs semaines où je les ai incités, où je leur ai accordé du temps, rien n’en est sorti. Donc, échec.
Puis, quelques temps plus tard, une proposition est venue d’une des élèves : puisqu’ils ne parvenaient pas à s’entendre sur leurs jeux, ils pouvaient toujours en organiser d’autres en s’inscrivant, en décidant quels jeux faire... La discussion a été riche, a pris du temps, puis ils ont fini par se mettre d’accord sur une idée : ils allaient organiser, pour tous les élèves de l’école, une manifestation ludique (qu’ils ont baptisée les "Récré-olympiques") avec un choix de jeux.
Par groupes et sur le temps de classe (encore une fois, il faut se donner les moyens), ils ont choisi les jeux (certains individuels, d’autres collectifs, certains sportifs d’autres moins comme le puissance 4), ils sont allés présenter leur projet aux autres classes, ils ont fait de grandes affiches qu’ils ont accrochées sous le préau pour que tous les élèves puissent s’inscrire, ils ont écrit des règles de jeu, ils ont collecté le matériel... Puis, lorsqu’ils étaient prêts, ils se sont organisés pour lancer et arbitrer les jeux pendant les récréations.
Comme quoi, une simple discussion de conseil qui pourrait être évacuée comme ne relevant pas du domaine purement scolaire, a donné lieu à un travail collectif (rédiger les règles, décorer les affiches, présenter oralement le projet aux classes) et a permis aux élèves de prendre une décision impactant l’ensemble de l’école. Encore une fois, ce projet n’est pas non plus idyllique : il a fallu beaucoup les pousser à aller au bout d’un projet qu’ils avaient envie de faire mais pour lequel ils avaient des difficultés à mobiliser leur énergie. Mais ils ont été très contents d’aller au bout et ils ont même reçu (ce qui ne leur arrive pas souvent) des félicitations et remerciements d’autres élèves de l’école...
Quelques anecdotes sur le conseil
Même si le conseil prend du temps et de l’énergie, c’est un moment où, parfois, un instant de magie survient...
Le jour où un élève, par ailleurs dissipé et très peu motivé pour le travail, en félicite un autre (en très grande difficulté mais plutôt volontaire, lorsqu’il ne s’épuise pas) qui "a fait beaucoup d’efforts et commence à avoir de bons résultats" et qu’une autre lève la main pour renchérir "je crois qu’on peut tous l’applaudir". Le sourire (incrédule d’abord, lorsqu’il s’est tourné vers moi comme pour me demander s’il ne rêvait pas) de l’élève félicité est un de mes moments de l’année. Et sur le moyen terme, ce moment lui a insufflé un peu d’énergie pour les semaines suivantes et lui a permis (en tout cas je le pense), sur certaines notions, de réunir le petit surcroit d’énergie pour avancer un peu plus loin.
Le jour où un élève, très en retrait par rapport aux autres car se sentant mis de côté (alors que lui-même n’allait pas du tout vers les autres) et n’ayant pas du tout pris part aux conseils jusque là, est pris à partie par une élève qui le critique car il veut élaborer des règles de jeu alors qu’il n’y joue pas. Il lève alors la main et réussit à dire qu’il ne joue pas parce qu’il a peur d’être rejeté. Plusieurs élèves prennent alors la parole pour l’encourager à venir avec eux, pour lui dire qu’il ne doit pas rester dans son coin, et que "c’est ceux qui te rejettent qui (ne) devraient pas jouer". A la récréation suivante, et régulièrement depuis, il a participé aux grands jeux de la classe pendant les récréations.
Le jour où, après avoir râlé, répété, réexpliqué, et mis beaucoup d’énergie sans résultat probant, une élève vous félicite parce que "quand même, vous faites beaucoup de choses pour nous alors qu’on (ne) fait pas souvent d’efforts...".
Et j’en passe...
Conclusion
Le conseil coopératif que j’ai expérimenté cette année a eu des hauts et des bas, des moments de creux mais a aussi permis à mes élèves de se parler, de s’ouvrir, de discuter. Il n’a pas permis de transformer radicalement le comportement scolaire des élèves, mais il a participé activement à une amélioration significative du climat de classe, en permettant l’expression libre des élèves, en permettant à des élèves d’entendre d’une autre bouche que de la mienne des vérités qu’ils n’acceptaient pas de ma part, en permettant de mettre au jour et de résoudre des histoires latentes qui pourrissaient parfois l’ambiance. Il a donc permis, par cette amélioration (insuffisante mais réelle) du climat de classe, un meilleur apprentissage dans les autres domaines scolaires. C’est tout sauf une perte de temps.
Ce n’est pas une panacée, d’ailleurs j’ai fini par l’abandonner cette année avec mes élèves (ça, c’est une autre histoire...). Mais cette première expérience m’a très clairement donné envie de retenter l’expérience avec d’autres élèves.
Arnaud TERRAIN, professeur des écoles, Académie de Créteil