C.A.R.D.I.E. - E.A.F.C. Cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation

Travailler sur une exposition pour s’approprier l’histoire de son territoire

08 / 06 / 2021 | Anaëlle Weiss

Quel dispositif ?

Depuis septembre 2020, le collège Jean Lurçat de Saint-Denis et le lycée Le Corbusier d’Aubervilliers sont devenus des lieux d’éducation associés (LéA). Sept enseignants et quatre chercheuses se sont engagés dans une recherche-action sur l’impact didactique de la « mise en musée » de l’histoire sociale locale sur les apprentissages des élèves.

Autour d’une exposition prévue en 2021-2022 et consacrée à l’histoire des habitants de la cité Émile-Dubois d’Aubervilliers, il s’agira de réfléchir sur les enjeux socio-politiques des liens entre histoire scolaire nationale et histoire des banlieues et des quartiers populaires. C’est dans ce cadre que l’équipe s’interrogera également sur les supports muséographiques et pédagogiques les plus adaptés à l’exposition des savoirs issus de la recherche. Élèves, enseignants et chercheuses travailleront ensemble sur la scénographie et les dispositifs d’exposition, envisagés du point de vue de la médiation scientifique et de la transposition didactique.

Les liens entre ce projet et la recherche sont doubles : tout d’abord, cette recherche-action s’appuie sur une exposition consacrée au logement populaire et aux migrations, qui se tiendra à Aubervilliers en 2021-2022. Cette exposition, financée par l’Institut Convergences Migrations, prend appui sur un important travail de recherche mené aux archives (municipales, départementales, nationales) et auprès des habitants (entretiens, recueil de photos et de films).

De plus, ce travail sur l’impact de la mise en musée de l’histoire sociale locale sur les apprentissages des élèves est mené conjointement par des enseignants du secondaire et des chercheuses. Tandis que les enseignants travaillent sur la construction didactique des séquences et des visites de l’exposition, les chercheuses recueillent et exploitent les données sur ces visites. Tous collaborent sur la construction des supports pédagogiques de l’exposition et du musée virtuel, ainsi que sur l’écriture d’articles de synthèse.

Une expérimentation qui touche à de nombreux thèmes :

  • HG-EMC
  • Langages, arts et corps
  • Méthodes pour apprendre
  • Personne et citoyen
  • Monde et activité humaine
  • Numérique

Le dossier de candidature pour le LéA :

La présentation du projet d’exposition

Avec quels participants ?

Le LéA Médiation scientifique et apprentissages en histoire sociale (MédAHS) a l’originalité de faire collaborer des acteurs du territoire et du monde associatif au même titre que des enseignants et des chercheuses en histoire et en sciences de l’éducation.

Par ce biais, les élèves bénéficient tout d’abord d’une initiation à la recherche en travaillant sur des sources locales avec des chercheurs en histoire sociale, des archivistes d’Aubervilliers et des bénévoles associatifs. Ce projet amène également les élèves à rencontrer des habitants de la cité Émile-Dubois et à s’initier aux méthodes d’entretien et de recueil de témoignages. Grâce à cette expérience de terrain et à l’encadrement par différents acteurs du territoire et de la recherche, les élèves sont sensibilisés à la construction du discours historique sur leur territoire.

Enfin, les enseignants enrichissent leurs pratiques professionnelles en les ancrant davantage dans leur environnement local.

Les élèves :
 355 élèves
 14 classes
 4ème, 3ème, 1ère générale, 1ère technologique

Les enseignants :
 Diane Chamboduc de Saint Pulgent, Damien Boussard, Maïté Klachko, Édith Poulain : Lycée Le Corbusier d’Aubervilliers
 Cédric David, Nour Bousmah, David Ladent : Collège Jean Lurçat de Saint-Denis

Les chercheuses :
 Gaïd Andro, enseignante chercheuse à l’INSPE de Nantes, Centre de Recherche en Éducation de Nantes (CREN), EA 2661, Université de Nantes/AMuLoP
 Mathilde Rossignol-Méheust, enseignante chercheuse, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Lyon 2, au sein du LARHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes)
 Fanny Gallot, enseignante chercheuse, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’INSPE de Créteil, au sein du Centre de Recherche en Histoire Européenne Comparée (CRHEC)
 Muriel Cohen, post-doctorante, Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), UMR 8058, Université Paris 1 – CNRS/Institut Convergences Migration (ICM)/ AMuLoP

D’autres partenaires :
 Emmanuel Bellanger, directeur du CHS, Centre d’histoire sociale des mondes contemporains
 l’Amulop veut créer un musée du logement populaire sur le territoire de Plaine Commune.

Dans quels établissements ?

Cette recherche-action est menée dans deux établissements de Seine-Saint-Denis et favorise la collaboration entre collège (Jean Lurçat à Saint-Denis) et lycée (Le Corbusier à Aubervilliers).

Ces établissements se caractérisent par un contexte social difficile, qui influence les apprentissages des élèves (fort taux de pauvreté, environnement urbain dégradé). En effet, la plupart d’entre eux ne perçoivent pas leurs trajectoires familiales comme parties prenantes de l’histoire du XXe siècle. Ils ont du mal à faire le lien entre l’expérience qu’ils ont de leur quartier et ce qu’en dit le discours scolaire.

Ce LéA vise donc à lutter contre l’échec scolaire en renouvelant le lien entre savoir scolaire et savoir social. Il s’inscrit dans les projets des deux établissements, qui utilisent l’innovation pédagogique et les actions culturelles pour donner sens aux apprentissages. Enfin, il favorise la coopération avec les familles, de même que la collaboration entre collègues.

Pourquoi ce projet ?

Ce projet part de deux constats.

 Le premier fait état d’une image réductrice des banlieues populaires dans les manuels scolaires. Souvent résumés, en géographie, aux enjeux de la politique de la ville et à la ségrégation socio-spatiale, ces territoires incarnent, en histoire, les désillusions de la crise économique (chômage, paupérisation) et les dysfonctionnements de la société (violence, abstention, repli identitaire). Cette vision stéréotypée n’est pas sans effet sur les apprentissages des élèves.

 Le deuxième constat porte sur les pratiques pédagogiques au sein des musées et des expositions d’histoire. Enseignants et institutions visitées ont du mal à construire de véritables outils didactiques. La tentation du questionnaire à remplir ou de l’activité ludique focalisée sur l’enrôlement plus que sur l’apprentissage est ainsi privilégiée, au détriment d’une réflexion collective construite sur l’articulation apprentissage visé/savoir exposé.

Plus précisément :

Les observations de terrain font ressortir la distance très forte, voire l’imperméabilité, entre l’histoire scolaire nationale (savoir scolaire) et les histoires individuelles locales, notamment migratoires (savoir social). Cette distance pose la question du rôle de l’histoire scolaire dans la reconnaissance des identités partagées, dans la construction d’une citoyenneté inclusive, mais également dans l’élaboration d’une culture historique complexe, appuyée sur des apprentissages liant effectivement histoire et géographie. Ce constat invite donc à réinterroger les liens entre trajectoires individuelles et trajectoires collectives pour mieux comprendre les logiques de hiérarchisation sociale et territoriale à l’œuvre.

Quelles sources d’inspiration ?

Your story, our story, film, Tenement Museum, 2018 :

Le projet de musée lu logement populaire porté par l’Amulop a été en partie inspiré par le Tenement Museum de New York. Son directeur, Morris Vogel, est d’ailleurs venu le présenter en détail lors d’un atelier de recherche organisé par l’association le 14 février 2018, à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.

Le projet "Your story, our story" du Tenement Museum est également une grande source d’inspiration. Il a pour ambition de faire une histoire de l’immigration aux États-Unis, à partir du recueil de récits de trajectoires familiales et de photos d’objets emblématiques de ces dernières. Des expériences similaires ont déjà été menées auprès de certaines classes du lycée Le Corbusier en 2018-2019.

Quand ?

Ce projet court du 01/09/2020 Au 07/07/2023.

Comment ce projet est-il mis en oeuvre ?

Cette recherche-action Médiation scientifique et apprentissages en histoire sociale a pour ambition de rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages en les initiant à la construction du discours historique. Pour ce faire, à l’aide d’enregistreurs et de caméras, elle leur fait découvrir les méthodes de la recherche en archives, de l’enquête micro-historique et de l’entretien. Elle les fait aussi réfléchir à la mise en récit des données récoltées et aux différentes modalités de médiation possibles. À l’issue de ce projet, les élèves auront découvert le métier d’historien et auront participé, avec leurs professeurs, à l’écriture de l’histoire de leur territoire à travers l’exposition des parcours de vie de certains de ses habitants.

Ce LéA veut également renforcer la cohésion des équipes d’histoire-géographie des deux établissements concernés par la construction collective de séances et le développement de nouvelles compétences professionnelles dans le domaine de la médiation en direction des publics scolaires.

Cette recherche-action est prévue pour durer trois ans, entre septembre 2020 et juillet 2023.

La première année est consacrée à la construction des outils didactiques et pédagogiques par les enseignants, les chercheuses et les responsables de la muséographie. Les élèves sont initiés au travail en archives, autour de petits corpus co-construits par les enseignants, les chercheuses et les archivistes. Chaque groupe élabore des supports pédagogiques qui pourront être utilisés dans l’exposition prévue dans la cité Émile-Dubois. Les élèves sont initiés par leurs enseignants et les membres de l’Amulop à l’élaboration d’un scénario d’exposition. Les professeurs et les chercheuses organisent des visites d’autres expositions d’histoire (y compris virtuelles du fait du contexte sanitaire) et recueillent des données sur les effets pédagogiques des dispositifs utilisés.

La deuxième année sera consacrée aux visites de l’exposition organisée par l’Amulop, à l’observation de ces visites et au recueil de données objectivables auprès des élèves, par le biais d’entretiens menés par les chercheuses. Ces données seront ensuite exploitées au sein du LéA et conduiront à l’amendement des dispositifs pédagogiques et scénographiques en fonction des données empiriques et des apprentissages visés.

Enfin, la troisième année verra la construction, par les enseignants, les élèves et les chercheurs, d’outils et de ressources numériques pérennes. Ces dernières seront mises à disposition des établissements scolaires du reste du pays sous la forme d’un musée virtuel et permettront la valorisation de l’histoire du territoire. L’exploitation des données concernant les effets des différentes formes de médiation scientifique sur les apprentissages des élèves permettra par ailleurs la production d’articles, co-écrits par les enseignants et les chercheurs, et la mise en place de contenu de formation (initiale et continue).

Quel bilan pour ce projet ?

Évaluation par l’équipe pédagogique

Les enseignants élaboreront des exercices comme le résumé ou la reconstitution de parcours de vie, afin d’évaluer l’impact des visites des élèves sur leur compréhension des séquences de cours en lien avec les thématiques exposées. Ils évalueront l’impact de la démarche proposée par l’exposition sur les élèves en leur demandant de s’approprier les méthodes et les savoirs transmis au cours du projet pour mettre en récit l’histoire de leur famille, d’habitants de leur immeuble ou encore de leur quartier.

Évaluation par les chercheurs

Les chercheurs vont mener des entretiens individuels avec certains élèves pour les interroger sur leur expérience et évaluer l’impact de leur visite de l’exposition sur leurs apprentissages en histoire sociale et sur la réduction de l’écart entre leur savoir social et leur savoir scolaire.

Évaluation par l’Amulop

L’Amulop va faire remplir des questionnaires aux élèves après leur visite de l’exposition afin d’évaluer la pertinence et l’efficacité des outils didactiques et leurs effets sur la compréhension des savoirs historiques exposés. Si nécessaire, lesdits outils seront amendés afin de les améliorer.

Et après ?

L’équipe espère que ce projet permettra quatre effets principaux :

  • Tout d’abord, la réduction de la distance entre savoir scolaire et savoir social des élèves, grâce à une meilleure appréhension de la place de leur territoire dans l’histoire du XXème siècle.
  • Puis, une initiation des élèves au métier de l’historien, aux méthodes du travail en archives, des entretiens socio-historiques et de la mise en récit des données récoltées.
  • Ensuite, l’enrichissement de la réflexion sur la mise en exposition des savoirs issus de la recherche et l’élaboration d’outils didactiques à destination des publics scolaires, permettant une meilleure articulation entre savoirs exposés et apprentissages visés.
  • Enfin, la systématisation du travail collaboratif et le développement de nouvelles compétences professionnelles au sein des équipes enseignantes, dans le domaine de la médiation en direction des publics scolaires.

Diffusions prévues :

Travailler sur une exposition pour s’approprier l’histoire de son territoire (15/06/2023) :
L’équipe prévoit de publier un ou plusieurs articles de recherche, écrits en collaboration par les chercheuses et les enseignants, sur les différents dispositifs de médiation expérimentés au sein du LéA et leurs effets sur les apprentissages des élèves.

La vie en barre. Histoires d’habitant.e.s d’un logement populaire (Aubervilliers, 1950-2000) (18/09/2021) :
L’exposition organisée par l’Amulop à la cité Émile Dubois d’Aubervilliers, provisoirement intitulée « La vie en barre. Histoires d’habitant.e.s d’un logement populaire (Aubervilliers, 1950-2000) », ouvrira le week-end des journées du patrimoine 2021 et durera jusqu’en juin 2022 (sous réserve de l’évolution des conditions sanitaires). Y seront présentés et utilisés les outils pédagogiques élaborés par les élèves et les enseignants lors des ateliers de l’année scolaire 2020-2021.

Habiter un logement populaire (01/09/2022) :
Après sa fermeture, l’exposition sera prolongée sous la forme d’un musée virtuel, qui en reprendra les principaux contenus tout en offrant de nouveaux supports, réalisés en collaboration avec les élèves et leurs enseignants. L’Amulop a déjà réalisé, en collaboration avec des étudiantes du master "Patrimoines audiovisuels" d’INAsup, un site internet pédagogique sur des balades-enquêtes menées à Saint-Denis. Il pourra servir de modèle à ce futur musée virtuel.

Développement et suite de l’action

La recherche-action Médiation scientifique et apprentissages en histoire sociale ambitionne trois formes d’élargissement :

  • au sein des établissements concernés, l’initiation aux méthodes du métier d’historien et leur appropriation par les élèves seront systématisées. La mise en récit, par lesdits élèves, de l’histoire de leur territoire, de leur immeuble ou encore de leur famille sera régulièrement expérimentée en cours.
  • auprès des établissements secondaires du reste du pays, les ressources produites pour l’exposition et les séquences expérimentées en cours seront mises à la disposition de tous, élèves comme professeurs, sous la forme d’un musée virtuel et de formations initiales et continues.
  • en direction de l’ensemble du public scolaire et étudiant (du primaire au supérieur), un musée du logement populaire de la banlieue parisienne sera créé et ses dispositifs scénographiques et muséographiques seront pensés pour répondre notamment aux attendus scolaires et universitaires.

Retrouvez la vidéo de présentation du projet