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Le nouveau socle commun, une interview d’Alain Pothet

29 / 01 / 2015 | Marianne Durand-Lacaze

Pourquoi un nouveau socle commun ? Que devrait enseigner l’école du XXIe siècle ? Que va changer ce texte de référence pour les élèves, les parents et pour la communauté éducative ?

Le 8 juin 2014, le conseil supérieur des programmes publiait le Projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Le texte, transversal, vient en appui de la Loi du 8 juillet 2013, dite Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République qui prévoit dans son article 13, un nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
Considéré comme une étape, il précède dans l’agenda de l’année scolaire 2014-2015, les projets de programmes disciplinaires qui sortiront en 2015 qui le rendront opérationnel à la rentrée 2016.
Pour cela, il fera l’objet d’une nouvelle version, cette fois définitive qui sera présentée en mars prochain.
Alain Pothet, IA-IPR de SVT, Inspecteur académique - inspecteur pédagogique régional de sciences de la vie et de la terre, « stimulateur de compétences », comme il se définit lui-même sur son compte Twitter, répond aux questions de Marianne Durand-Lacaze, au micro de la CARDIE de Créteil, le 25 novembre 2014. Il a été nommé en 2014 par la rectrice Béatrice Gille à la tête du groupe de pilotage nommé « L’école du Socle. » Parallèlement, il est également en charge de l’éducation prioritaire au Rectorat de Créteil.

Écoutez son interview de 10 minutes ci-dessous en streaming ou en la téléchargeant (voir au bas de l’article).

Le texte qui suit est la transcription de l’enregistrement intégral que nous a accordé Alain Pothet ce jour-là, le 25 novembre 2014 (40 minutes).

Depuis 2006, année de lancement du premier socle commun dans l’éducation nationale, la société française a considérablement évolué. La mondialisation, l’économie numérique, les crises économiques, les rapports familiaux ont transformé en profondeur les rapports sociaux et culturels. Dans ces conditions, que devrait apprendre l’école ? Il paraît logique de s’interroger sur ce que devrait apprendre l’école aux élèves qui seront les citoyens de demain.

  L’école obligatoire de 6 à 16 ans doit apprendre à l’ensemble de ses élèves à devenir des citoyens dans une société qui bouge et qui avance, profondément transformée depuis 2006. Cette évolution justifie le changement du texte de 2006, cadre à la fois organisateur et intégrateur de notre école. Voilà pourquoi il a beaucoup évolué. Les compétences, mises en avant dans le texte, doivent permettre d’apprendre à vivre ensemble. Les structures administratives n’étant pas tout à fait calées sur la tranche d’âge 6-16 ans, l’application de l’esprit du socle peut, en effet, un peu déborder sur les maternelles et sur les lycées.

Le nouveau socle est-il une adaptation, une refondation ou une innovation nouvelle ?


Le texte de 2014 s’est nourri de l’expérience du premier socle. Il y a des adaptions car on s’est rendu compte qu’il y avait une multiplicité d’items dans le texte de 2006 qu’il a fallu un peu simplifier. Parmi les innovations, les objectifs ont été recentrés. L’aspect "attitude", "valeur" que l’école porte en soit, a été à nouveau affirmé et consolidé. Les valeurs sont un ciment commun mais aussi une ambition pour que la société progresse. Les deux éléments sont importants. Le texte offre à la fois, un minimum pour vivre ensemble et une ambition pour l’ensemble de la société.

Entrons dans les cinq domaines définis dans le nouveau socle, dans son actuelle version, de juin 2014...
 Les langages pour penser et communiquer
 Les méthodes et outils pour apprendre
 La formation de la personne et du citoyen
 L’observation et la compréhension du monde
 Les représentations du monde et l’activité humaine

Le socle est écrit en amont des programmes et non après comme c’était le cas jusqu’alors. Les programmes vont le compléter, le préciser. Ils vont venir expliciter les attentes du socle et l’enrichir car il ne peut pas y avoir de compétences sans savoirs, ni de socle sans programme. Il faudrait que chaque enseignant arrive à voir comment sa discipline, ses savoirs vont nourrir l’ensemble des champs du nouveau socle. De nouveaux domaines sont apparus, tel que "Les méthodes et outils pour apprendre" qu’on pourrait simplifier par "Apprendre à apprendre". C’est tout à fait nouveau et pourtant essentiel : l’objectif de l’école est de donner de l’autonomie aux élèves et de les préparer à vivre dans la société.

Quelle est nouvelle posture professionnelle des enseignants dans ces conditions nouvelles ?

Dans un domaine, tel que "Les méthodes et les outils pour apprendre", la position des enseignants par rapport aux savoirs et aux apprentissages change radicalement puisque ces missions vont devenir des missions d’accompagnement de l’élève. Le professeur va apprendre à l’élève à devenir autonome pour qu’au bout d’un certain temps, il soit capable par lui-même de trouver des informations, de les assembler pour qu’elles deviennent des savoirs. Je crois que c’est véritablement une posture différente de l’enseignant : il sera à côté de l’élève et non, devant l’élève. Il l’accompagnera dans ses apprentissages.

L’enseignant va-t-il transmettre moins de savoirs dans ces conditions ?

Je ne sais pas si on peut dire qu’il y en aura moins. En tout cas, ils auront plus de sens dans un contexte de compétences. Ils développeront véritablement des attitudes pour construire une culture commune. Il me paraît important de redonner du sens aux savoirs, de la "saveur". Il y en aura peut-être moins ; les programmes vont le dire.

Comment le Conseil supérieur des programmes (CSP) propose d’évaluer l’acquisition de ce socle commun de connaissances, de compétences et de culture par les élèves ? Que dit le texte de juin 2014 ?

Il est clair que dans le texte, il y a plus de questions sur l’évaluation que de réponses. C’est un écueil. S’y trouvent des points de vigilance qui sont issus de toute l’expérience du premier socle commun et de celle du livret scolaire de compétences qui accompagnait chaque élève et était renseigné par les enseignants, à la fin de la scolarité obligatoire pour valider le diplôme national du brevet, le DNB.
Cet écueil a été relevé par un certain nombre d’enseignants : le CSP le pointe mais n’y répond pas complètement. Il n’a pas encore tranché sur le rapport entre l’évaluation de ce socle et le brevet. Ainsi, ces questions sont encore en suspens pour l’instant. Elles sont liées à la grande Conférence nationale sur l’évaluation (lancée en juin 2014) dont les débats se déroulent ces jours-ci (11 et 12 décembre 2014). Je pense qu’il y aura certainement des discussions entre le grand jury de cette conférence et le CSP pour que cette évaluation soit justement la plus pertinente possible afin de permettre de renseigner précisément les acquis en termes de compétences pour chaque élève et par conséquent pour chaque famille.


Peut-être, cela fera-t-il l’objet d’une partie dans la version définitive du socle ?


Certainement, parce que lors de la consultation du texte sur Internet par les enseignants, la thématique de l’évaluation est revenue fréquemment. On ne pourra pas faire l’économie de présenter le texte avec une proposition claire et comprise.

Comment définiriez-vous le nouveau socle, en un mot ?

Par le mot "ambition". Une ambition de l’école que doit animer l’ensemble de la communauté éducative. Le mot "culture" a été ajouté au titre du socle, Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Nous pouvons y voir l’idée de rendre un peu plus "humains" les savoirs ou une compétence. Avant, dans le socle de 2006, on pouvait avoir l’impression que les savoirs, parfois, étaient un peu déshumanisés. Cela me paraît important. Or, si on les associe à des valeurs, on entre ces savoirs et ces compétences dans le champ des humanités à ce moment-là
L’important est de construire une culture commune. Il ne faudrait pas que le socle soit pensé comme une norme. C’est un ciment où la diversité des individus est évidemment une richesse. Le socle doit à la fois, construire une culture commune et favoriser le développement des individus et de leurs talents.

Dans l’ensemble du texte, il y a des allers-retours entre "l’élève doit savoir de façon autonome" et "l’élève doit s’inscrire dans des actions collectives."

Tout à fait, de nouvelles notions sont apparues qui ne figuraient pas l’ancien socle, telles que les notions de goût, de plaisir, de créativité, d’émotion, de sensibilité. Le texte rappelle qu’on doit avoir une école bienveillante, qui génère du plaisir y compris et surtout dans ses apprentissages.

Comment le nouveau socle, par rapport à l’ancien socle, prend-il en compte les fondamentaux, lire, écrire, compter ?

Il ne les a pas structurés de la même façon. Le texte parle "Des langages pour penser et communiquer." C’est le nom donné précisément à l’un des domaines. On peut dire qu’à travers ce titre, le texte sort un peu du champ dit de "la maîtrise de la langue" d’une part, et de la compétence 3, autrefois consacrée aux mathématiques, "savoir compter" d’autre part. Le nouveau socle apporte une approche plus globale et mentionne les "langages mathématiques" pour parler et communiquer, les langues étrangères, les langues régionales, les codes informatiques. Tous ces éléments sont intégrés dans un cadre élargi. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas avoir une attention particulière sur les fondamentaux. Dans les zones d’éducation prioritaire, on sait bien que ce sont des éléments indispensables pour construire des compétences plus larges, qu’ils génèrent des différences entre les personnes. Mais d’un autre côté, l’important est que, parmi les compétences, certaines ne soient pas uniquement des savoirs fondamentaux car justement, en éducation prioritaire, on remarque facilement l’origine des élèves car ils n’ont pas toujours acquis des compétences autres, en dehors de ces savoirs fondamentaux, eux-aussi parfois mal acquis et qui font la différence plus tard dans leur vie d’adulte.

Pouvez-vous préciser ?

L’idée à retenir, c’est qu’il faut aussi développer des compétences culturelles et artistiques dans des endroits où les fondamentaux ont du mal à se construire. Il s’agit d’apprendre à développer des démarches créatives. On sent bien que chez l’adulte, les différences se font énormément sur ces aspects-là. On arrive très rapidement à repérer les origines sociales à travers l’utilisation de ces compétences culturelles. Ce sont des lacunes difficiles à combler après la scolarité. Il est important que les équipes comprennent que, bien évidemment, les fondamentaux sont à construire et le socle le rappelle, mais ils ne sont pas à construire au détriment des autres compétences. On a là une quadrature un peu compliquée.

Pour les parents, les savoirs dits fondamentaux sont les éléments qui comptent le plus...

Certes, acquérir les fondamentaux est primordial. L’illettrisme, l’innumérisme sont des freins importants dans le développement des parcours scolaires et professionnels. Le danger serait de dire : "tant qu’on n’a pas stabilisé les fondamentaux, on ne peut pas faire autre chose."

Donc la démarche n’est pas de commencer par l’un pour aller vers l’autre mais de faire les deux en même temps, de manière simultanée. On travaille les fondamentaux quand on travaille les compétences culturelles et artistiques.

Quels sont les enjeux du socle commun ?

Les enjeux sont importants. La scolarité est obligatoire, cela n’est pas anodin. L’ambition du socle c’est que tous les élèves, 100 % d’entre eux, doivent maîtriser l’ensemble des compétences du socle. Cela signifie qu’on va construire une véritable société commune à travers ces compétences. C’est une ambition très élevée qui concerne toute la société. Il s’agit d’un engagement fort de l’école vis à vis de la nation parce que c’est inscrit dans la loi. C’est également un engagement vis à vis des jeunes de la nation.


Le texte du nouveau socle s’apparente-t-il aux grandes lois pour l’école de la IIIe République ? Quels repères historiques pourraient guider les internautes pour situer le texte du socle dans le temps un peu plus long de l’histoire et non de l’actualité ?

Le texte s’inscrit dans la logique de la création du collège unique en 1974 car on peut difficilement imaginer un collège unique sans une ambition commune. Or jusqu’à présent, elle n’existait pas vraiment. Plusieurs ministres ont tenté cette réforme. Le socle redéfinit les missions de l’école clairement et donc les missions des enseignants. Je pense que le débat sur leurs missions et le rôle de l’école aujourd’hui mériterait d’être vraiment réactivé. Si on veut que le socle soit approuvé par l’ensemble des acteurs de l’éducation, il faut qu’il y ait une réflexion commune autour de ce qu’on veut faire de notre école aujourd’hui, autour de ce que les acteurs de l’éducation veulent en faire et ce que notre société lui demande de faire.

Qu’est-ce qui pourrait faire échouer l’adhésion au projet du nouveau socle commun de connaissance, de compétences et de culture ou au contraire, le favoriser ?

Le faire échouer ? Que les acteurs ne se l’approprient pas. Le recteur Boissinot (Ancien recteur des académies de Bordeaux et Versailles, ancien directeur de l’enseignement scolaire) disait l’école est structurée en 2 blocs : l’école obligatoire 6-16 ans, l’école du socle en fait d’une part, et "l’école bac - 3 / bac + 3", lycée jusqu’à la licence, d’autre part. Il faut que les enseignants comprennent qu’aujourd’hui, lorsqu’ils enseignent dans l’école du socle, ils n’ont pas les mêmes objectifs que lorsqu’ils enseignent dans l’autre structure.

Pensez-vous que cela puisse générer à l’avenir une différence entre les professeurs qui enseignent en collège et ceux qui sont en lycée ?

Non, je ne crois pas. Précisons qu’il y a un nouveau cycle à cheval sur le 1ier degré et le 2nd qui se met en place en même temps que le socle, le cycle 3, composé du CM1 / CM2 / 6e. Cette nouvelle organisation va générer de nouveaux enseignements, de nouveaux contours disciplinaires.


Cela signifie-t-il que les professeurs enseigneraient plusieurs disciplines ou ensemble ?

C’est plutôt plusieurs disciplines.


Le texte évoque le travail en commun des professeurs et encourage le travail en équipe au-delà de leur discipline.


Oui. Le texte est "a-disciplinaire" et non antidisciplinaire. Les inspecteurs, à l’étude du texte, ont remarqué que dès qu’il y avait une référence disciplinaire cela gênait. On peut imaginer avec le nouveau socle que des enseignants, de cultures disciplinaires différentes travaillent ensemble et soient amenés à enseigner les mêmes objets. En réalité, le monde n’est pas divisé en disciplines, en dehors du monde scolaire. Elles sont utiles pour structurer des savoirs mais s’en éloigner par moments peut aussi être utile pour regrouper certains points d’enseignement.


Quel accompagnement est-il prévu en dehors de la consultation nationale qui s’est déroulée dans chaque établissement ?

Ce fut une journée de débats qui préparait la réponse à un questionnaire individuel par enseignant. Il n’y a pas eu de consultation collective sur le texte mais des débats dans chaque établissement afin de permettre aux professeurs de s’approprier le texte et de répondre, avant ou après, au questionnaire dont ils étaient destinataires. La DESGESCO qui a organisé cette consultation reçoit en ce moment les réponses qu’elle transmettra ensuite au CSP pour la rédaction du texte définitif. Le texte n’est pas un outil pédagogique. Il présente des éléments pour que tous les élèves à la fin de leur scolarité s’intègrent professionnellement. Il offre un appui "organisateur" et non un cadre pédagogique que les programmes se chargeront de préciser. Il est centré sur l’élève : "l’élève sait..." Il s’adresse cependant aussi aux parents. Sa vocation est d’intégrer tous les élèves, d’arriver à faire accepter l’altérité, et de comprendre que les valeurs ici défendues sont celles de la République et de l’école. lLimportant est de redonner une place primordiale à l’école dans notre société.

Pour en savoir plus

 Pour tout connaître du socle actuel et du nouveau socle en projet, vous pouvez vous reporter sur le site Éduscol sur la page consacrée au Socle de connaissances et de compétences.

 Pour télécharger la proposition de nouveau socle du CSP de juin 2014 à partir d’Éduscol

Les personnels d’enseignement, d’éducation et d’encadrement ont été invités à donner leur avis sur différentes réformes pédagogiques via un site internet dédié : le programme de l’école maternelle ; le programme de l’école maternelle ; le programme de l’école élémentaire ; le programme du collège ; le programme d’enseignement moral et civique.

 Site des consultations nationales 2014-2015, proposées par le CSP

Sur le projet de nouveau socle, les consultations qui ont eu lieu du 22/09/2014 au 18/10/2014 sont maintenant terminées et consultables.

 Téléchargez le fichier PDF de la synthèse des consultations nationales.

 Premières propositions du CSP pour l’évaluation et la validation de l’acquisition du projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

Pour écouter l’interview d’Alain Pothet

Cliquez sur le fichier son ci-dessous pour l’écouter en streaming ou télécharger le fichier.