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Un plaidoyer pour une éducation bienveillante : Une enfance heureuse de Catherine Gueguen

11 / 04 / 2014 | Marianne Durand-Lacaze

Avec Une enfance heureuse, le Docteur Catherine Gueguen, pédiatre, nous apporte des éléments fondamentaux le fonctionnement et le développement du cerveau de l’enfant.

Car, si tout le monde connaît les étapes de développement physique d’un enfant (l’âge de la marche, de la propreté, etc), les étapes de développement de la vie affective et des réactions émotionnelles restent une terra incognita.

Cette méconnaissance s’explique d’après l’auteur par le fait que les travaux des neurosciences affectives et sociales sont quasiment inconnus en France. Pourtant, ils nous apprennent que le cerveau de l’enfant est fragile, vulnérable, malléable et immature et que son environnement social et affectif agit directement sur le développement physique, cognitif et affectif de son cerveau.

La bienveillance que prône Catherine Gueguen n’est donc pas une posture idéologique mais véritablement un postulat scientifique fondé sur les dernières recherches scientifiques.

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Le Docteur Gueguen le rappelle d’emblée : l’arrivée de l’enfant est un bouleversement pour le couple. La relation parent/enfant se révèle rapidement plus difficile que prévu et ne correspond pas nécessairement aux attentes des parents.

Des problèmes pratiques viennent brouiller cette relation. Notamment des problèmes et des tensions autour du temps de travail et par conséquent du temps consacré réellement à l’enfant et à la construction de la relation empathique avec lui. L’auteur souligne que chaque parent consacre en moyenne 26 minutes par jour à son enfant.

Dans le même temps, elle rappelle aussi que le cerveau se forme dès la vie intra-utérine et continue de se développer jusqu’à 25 ans. Il est en constante réorganisation. C’est même selon l’auteur la forme de matière organisée la plus complexe de l’univers.

Cette maturation du cerveau est donc un processus de long terme au cours duquel toutes les expériences vécues ont des conséquences parfois gravissimes. Ces expériences s’inscrivent même dans notre biologie, dans notre corps et se traduisent en émotions, sentiments, pensées, actions.

Pourtant, il n’existe pas ou peu de réflexion aboutie sur la parentalité et sur l’éducation des enfants. En France, il est interdit de frapper un homme, une femme, un animal mais il n’est pas interdit de frapper un enfant à des fins d’éducation. Beaucoup de parents justifient même ces pratiques par leur expérience d’enfant, sans se rendre compte qu’ils ont eux-mêmes vécus des expériences traumatisantes qui ont modelé leur personnalité.

Certes, les parents disent et pensent aimer leurs enfants. Mais ils ne sont pas toujours à même de distinguer la sympathie qu’ils ressentent, c’est-à-dire la volonté de faire du bien à quelqu’un et l’empathie, qui est la faculté à comprendre l’autre, ses besoins et la faculté à exprimer des sentiments sans agressivité.

C’est par la compréhension du fonctionnement du cerveau humain qu’il est possible de mettre en œuvre une éducation bienveillante et empathique.

Car dès l’enfance, la vie intérieure est intense. Le cerveau est bombardé d’émotions chaque jour. Que se passe-t-il chez l’adulte en proie à de telles charges émotionnelles ?

Le cerveau adulte est capable de gérer des émotions intenses

Le cerveau est constitué de trois grandes zones : le cerveau archaïque, aussi appelé « reptilien », qui gère les fonctions primaires (respiration, rythme cardiaque, pression artérielle, sommeil, réflexe d’attaque ou de fuite) ; le cerveau émotionnel, appelé aussi « système limbique », qui nous fait ressentir l’agréable ou le désagréable et aide à contrôler les réflexes de réactions d’attaque ou de fuite ; enfin, le néocortex, appelé aussi cerveau supérieur », qui concentre les fonctions cognitives et représente 85% du volume total. Dans le néocortex, le lobe préfrontal est celui qui a connu la plus forte expansion chez l’humain. Il est à l’origine de la réflexion, du raisonnement, de la créativité, de l’imagination, de la planification, de la conscience et soi et de l’empathie.

Vue axiale du cerveau par tomographie par émission de positons.

Si un adulte est confronté à des émotions intenses et que son cortex préfrontal fonctionne correctement, il prend le temps d’analyser, tente de comprendre et dépasse sa réaction première de peur, de colère, d’anxiété, etc. En outre, l’adulte dispose d’une capacité à réévaluer ce qu’il a vécu, notamment grâce à son cortex préfrontal.

Quand ce cortex préfrontal dysfonctionne, l’adulte est incapable de réguler ses émotions et se trouve submergé par la colère ou la peur. C’est souvent le résultat de violences subies dans l’enfance.

Au sein de ce cortex préfrontal, on trouve le cortex orbito-frontal, essentiel pour l’empathie, la régulation des émotions et le développement du sens moral. Cette région est très sensible aux signaux physiques : intonations de voix, odeurs corporelles mais surtout regard. Les yeux sont par exemple connectés directement au cortex orbito-frontal (COF).

Lorsque le COF est lésé, la personne présente de grands troubles de la régulation de ses émotions, de l’humeur et de la vie sociale. Sa vie devient chaotique, incohérente. Elle ne sait plus prendre les décisions justes pour son interêt : conjoint, travail, lieu de vie. Elle reste incapable de s’intégrer dans la société et d’anticiper les besoins et réactions des autres. Elle perd même la notion du sens moral.

Que se passe-t-il chez un enfant ?

Un enfant est incapable de gérer ses émotions. Il déborde de vie, il dérange, même. Jusqu’à 5-6 ans, il ne se maîtrise pas, s’amuse, fatigue, grimpe, joue, rêvasse. Il veut manger immédiatement ce qu’il aime, dit des gros mots et rigole, crie fort pour s’amuser, est traversé par des peurs incontrôlées, etc. Une tentation consiste à vouloir le faire rentrer dans le rang, le soumettre, voire de passer ses nerfs sur lui et de s’en servir comme d’un exutoire à ses propres frustrations. En un mot, on voudrait qu’il ne soit plus un enfant, pour reprendre les propos de Catherine Gueguen.

Un enfant qui ne reçoit pas ou peu d’affection ou d’attention, qui subit des sévices corporels, est puni pour s’être amusé voit le développement de son COF considérablement réduit. En revanche, un enfant en sécurité affective contrôle plus jeune ses émotions négatives. Chaque fois qu’un enfant observe comment son entourage traverse un conflit émotionnel avec calme et justesse, les circuits du COF chargés de réguler l’amygdale (centre de la peur du « système limbique ») se renforcent.

Prenons un exemple développé dans l’ouvrage. Un enfant veut grimper sur un canapé. Trois scénarios :

1-on dit à l’enfant « pas là car c’est dangereux mais ici tu peux », ce qui lui donne à la fois des limites, la conscience du danger et lui permet quand même d’exprimer son envie de grimper et renforce sa confiance.

2-On ne fait pas attention à l’enfant qui nous cherche du regard. Quand il tombe, on le réprimande « Arrête de faire n’importe quoi ! » : inattention, indifférence, punition, on crée du stress chez l’enfant, on freine la maturation du COF et on retarde l’ « âge de raison », ce qui enclenche un véritable cercle vicieux, l’enfant se montrant de plus en plus « capricieux ».

3- les parents crient « non » puis consolent l’enfant qui tombe puis le reposent en décrétant qu’il fait décidément trop de bêtises. Par son inconstance, l’adulte renforce l’impulsivité de l’enfant.

L’auteur insiste : l’adulte doit savoir dire non et donner un cadre mais avec douceur, calme et affection, en prenant en compte les envies et les émotions irrépressibles de l’enfant.

On trouve aussi dans le cortex préfrontal le cortex cingulaire antérieur (ou CCA) : comme le COF, il joue un rôle important, notamment dans la transformation de nos sentiments en intentions et actions. Il participe à notre capacité de réévaluation. Le CCA joue aussi un rôle essentiel dans le maternage : la mère qui entend son enfant pleurer voit son CCA s’activer ; mais l’enfant qui pleure pour appeler sa mère aussi. C’est d’autant plus vrai quand les neurones fuseaux sont vigoureux et nombreux.

Les neurones fuseaux sont de grandes cellules nerveuses allongées en forme de cigare ou de fuseau. Or, ces cellules sont riches en récepteurs pour différentes molécules : sérotonine, dopamine, substances essentielles pour l’humeur, l’amour et le plaisir. Aucun animal n’en a autant que nous. Elles se logent vers 4 mois dans le COF, le CCA, notamment. Les cellules fuseaux amplifient notre conscience de nous-mêmes et de notre corps ; elles renforcent notre self-control et notre attention. Leur migration peut être altérée par les expériences négatives dans la petite enfance. Une fois parent, on ressent dès lors moins d’empathie et on a tendance à reproduire ce qu’on a subi.

Il est à noter que le CCA est aussi le siège des rejets sociaux et de la souffrance physique. Pour le cerveau, selon l’auteur, le désir de connexion avec les autres et d’être accepté socialement est donc un besoin primaire, fondamental et une garantie de survie aussi importante que d’éviter la souffrance physique.

Pourquoi l’enfant contrôle-t-il mal ses émotions ?

Les neurones du COF et du CCA ne parviennent à maturité qu’au début de l’âge adulte. Cela permet de comprendre que les enfants soient submergés par des tempêtes émotionnelles et des comportements impulsifs ou de fuite directement issus du mode de fonctionnement du cerveau archaïque et émotionnel. Cette immaturité cérébrale se traduit par des manifestations souvent violentes que nous appelons des « caprices » mais qui sont en réalité incontrôlables par le jeune enfant. Le cortex préfrontal n’a tout simplement pas encore pris le pouvoir sur le cerveau archaïque et le cerveau émotionnel.

Consoler l’enfant, c’est réduire l’impulsivité de sa réaction et c’est donc participer au développement du cerveau. Consoler, ce n’est pas seulement faire preuve de douceur, c’est participer pleinement au bon développement intellectuel de son enfant.

Un enfant ne pleure jamais « pour rien », selon le docteur Gueguen, il faut donc proscrire un comportement qui consisterait à le laisser pleurer. L’enfant pleure pour signaler des émotions et pour appeler à l’aide, pour signaler des besoins, pour signaler quand il souffre. Le bébé dépend entièrement pour sa survie des adultes. Quand personne ne répond à ses appels, l’enfant apprend à ne plus se connecter avec ce qu’il ressent. De fait, un enfant qu’on dit « très sage » quand il a moins de cinq ans doit alerter car ce n’est pas un comportement normal à cet âge.

L’éducation par la peur est mauvaise est néfaste et a de graves conséquences chez l’enfant

« Laisse le pleurer, sinon il fera des caprices tous les soirs ». Qui n’a pas entendu ce genre de recommandation, demande la pédiatre dans son livre ? Elle souligne du reste la difficulté de ne pas céder aux injonctions sociales et culturelles qui font de l’enfant un petit être à « dresser », y compris par le chantage, la peur, voire la force.

On ne mesure pas les conséquences néfastes de certaines pratiques, parfois à notre corps défendant :

Tout interdire pour le bien de l’enfant, faire les « gros yeux », pratiquer le chantage, punir, sont des pratiques néfastes. L’auteur insiste sur ce point : ces méthodes « marchent » en apparence et sur le court terme mais elles sont destructrices et contre-productives : l’enfant peut se soumettre par la peur mais il vivra dans une double frustration : il n’a pas fait ce qu’il voulait et il ne comprend pas pourquoi ses parents sont en colère. Il se soumettra sans avoir intégré de valeurs éthiques et il apprendra à recommencer discrètement (on aura développé chez lui l’hypocrisie) ou à dissimuler (on aura développé chez lui le mensonge et la lâcheté). Pour reprendre l’auteur :

« Dire « non » tout le temps, c’est apprendre aux enfants à dire « non » aussi. Rester calme, c’est montrer qu’on peut régler les conflits autrement que par la colère. »

C’est aussi méconnaître l’incapacité de l’enfant à gérer la peur et entraver le bon développement de son cerveau.

Que se passe-t-il dans le cerveau quand nous avons peur ?

Quand nous avons peur, nous avons deux circuits qui nous permettent de réagir :

 Un circuit court, rapide, sans intervention de la conscience. L’amygdale est avertie et intervient sans passer par le cortex. Elle alerte aussi l’hypothalamus qui déclenche la sécrétion des hormones du stress. En ce sens, l’amygdale est le « centre de la peur ».

 Un circuit plus long, plus lent mais plus précis qui passe par le cortex et permet d’évaluer la véritable nature du danger.

Or, chez l’enfant, l’amygdale est mature dès le plus jeune âge. En revanche, les structures cérébrales capables de freiner l’amygdale sont elles peu fonctionnelles. L’enfant ne peut donc emprunter la voie longue. Il emprunte toujours la voie courte. Il ne peut maîtriser sa peur et a besoin d’un adulte pour le rassurer et l’apaiser.

De fait, la mémoire des émotions, des sensations, des peurs peut être inconsciente –c’est une mémoire implicite qui utilise préférentiellement l’amygdale ; elle peut aussi être consciente : elle dépend dans ce cas-là du cortex et d’une autre partie du cerveau, l’hippocampe. L’hippocampe est immature chez l’enfant. Il se forme peu à peu et occupe une place centrale dans l’apprentissage, la mémoire émotionnelle, consciente et la mémoire à long terme.

En cas de stress intense, l’activité hippocampique diminue et entraîne des perturbations attentionnelles et mnésiques. Le souvenir de l’événement, les faits réels peuvent être très flous, voire effacés. Ces effets ont deux conséquences principales :

 Une bonne : on garde inconsciemment la mémoire de l’événement traumatisant pour ne pas s’y laisser reprendre ;

 Une mauvaise : la réaction de stress, la peur conditionnées va s’étendre à des situations autres que la seule situation traumatisante. Ces empreintes vont pouvoir expliquer des réactions de peur, d’angoisses inopinées et inexpliquées et vont rendre la personne plus sensible à un traumatisme ultérieur.

L’hippocampe transforme en outre le contenu de notre mémoire de travail en mémoire de long terme. Cette structure est essentielle pour retenir les épisodes de notre vie. Tous nos souvenirs dépendent de l’hippocampe. L’hippocampe est donc sollicité en permanence et fabrique de nouveaux neurones continuellement, tout au long de notre vie. La mémoire et l’apprentissage sont intimement liés et dépendent l’un de l’autre. L’hippocampe est donc au cœur de tout apprentissage. Nuire à son développement, c’est nuire à la réussite scolaire de son enfant et tout simplement à son bon développement intellectuel et émotionnel.

L’enfant est particulièrement sensible au stress et à toute détresse émotionnelle.

L’enfant est particulièrement sensible au stress et à toute détresse émotionnelle. Le stress entraîne la sécrétion de cortisol, une hormone sécrétée par la glande surrénale. Si le stress se prolonge, le cortisol en trop grande quantité agresse les neurones de l’hippocampe, freine leur multiplication ; il peut même diminuer leur nombre et les détruire, ce qui a un effet désastreux sur l’apprentissage et sur la mémoire. Le cortisol active l’amygdale, donc la peur, et altère l’hippocampe. L’esprit est paralysé par la peur et la personne n’est plus capable d’écouter ni d’apprendre. Elle ne mémorise dans son amygdale que ses émotions de peur, d’angoisse et n’enregistre rien dans son hippocampe.

Représentation moléculaire du cortisol

En 2012, une étude menée par Joan Luby, professeur de psychiatrie à l’université de Saint Louis, montre que lorsque la mère soutient, encourage son enfant quand il est petit, son hippocampe augmente de volume. Cette étude révèle le lien entre une attitude soutenante dans la petite enfance et l’augmentation du volume de l’hippocampe entre 7 et 13 ans. Au contraire, la maltraitance diminue le volume de l’hippocampe.

Pour apprendre, un enfant doit être soutenu

Apprendre est essentiel pour un enfant. Il a soif d’apprendre, de découvrir, de comprendre. Par les connaissances qu’il va acquérir, il se construit progressivement une image du monde qui l’entoure.
Plus l’apprentissage baigne dans une atmosphère soutenante et encourageante pour l’enfant, meilleures seront sa mémorisation et sa compréhension. Le stress qui règne dans une classe, la peur du regard des autres ou de paraître nul devant le professeur et les camarades peuvent être contre-performants et altérer l’apprentissage.

Nous citerons ici l’auteur in extenso « Quand les enseignants intègrent ces connaissances sur les effets délétères du stress sur le cerveau de l’enfant, ils modifient leur manière d’enseigner et les enfants ne subissent plus de pression inutile. L’ambiance dans la classe devient agréable aussi bien pour l’enseignant que pour les enfants. Ils sont alors disponibles pour apprendre et les résultats s’améliorent.
En effet, que se passe-t-il au niveau de l’hippocampe quand les professeurs pressurisent leurs élèves, ont des paroles négatives, blessantes, humiliantes : « Tu ne comprends rien, tu es vraiment nul, tu es en dessous de tout !! » Que se passe-t-il quand les parents, de même, mettent de la pression, s’énervent, crient par exemple, lors des devoirs le soir à la maison : « Tu n’apprendras donc jamais rien ! Tu es un bon à rien, tu es un incapable ! Qu’est-ce qu’on va faire de toi plus tard ? » Dans ces situations, les professeurs et les parents altèrent les capacités d’apprentissage, de mémorisation et de réflexion de l’enfant, à l’inverse du but recherché. »

Combattre le stress

Le stress produit un afflux d’adrénaline, de noradrénaline, de cortisol, toxique pour l’organisme. Un enfant sur lequel on crie libère par ses glandes surrénales de grandes doses de ces produits. Son cerveau en est envahi.

L’adrénaline et la noradrénaline sont certes nécessaires. Le cortisol aussi à petites doses, qui permet de calmer un état de stress en augmentant le taux de glucose dans le sang. Mais à l’opposé, un taux élevé entraîne le sentiment d’être sans force, sans courage, triste, en grande insécurité. La sécrétion prolongée de cortisol peut provoquer des maladies chroniques ou auto-immunes (diabète, sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde) une perte de confiance de l’enfant qui vit les autres et le monde comme une menace constante. Le stress peut provoquer la destruction de neurones dans des structures importantes du cerveau comme le cortex préfrontal, l’hippocampe, le corps calleux et le cervelet.

En fonction de la gravité du stress, différentes pathologies pourront se manifester comme des pertes de mémoire, des crises d’anxiété voire de panique, des troubles dissociatifs. Le développement du COF est aussi affecté car il est riche en récepteurs aux glucocorticoïdes sur lesquels se fixe le cortisol

Les stress majeurs durant les premières années de vie sont à l’origine de multiples pathologies : agressivité, délinquance, addiction à l’alcool, aux drogues, troubles de la personnalité, personnalité « borderline », narcissique, compulsive et paranoïaque, anxiété pathologique, dépression grave, suicide et de très grandes difficultés d’apprentissage, mais aussi obésité et comportements sexuels à risque

L’éducation s’inscrit dans les gènes

L’éducation a même des conséquences génétiques : le stress dans l’enfance réduit physiquement la longueur des télomères (l’extrémité du chromosome) : leur raccourcissement provoque la mort des cellules d’où des maladies plus nombreuses et une espérance de vie moindre. Le tableau pourrait, de fait, paraître dramatique. Mais là encore, l’auteur y insiste : ces modifications sont réversibles grâce à la résilience et à la plasticité du cerveau. Ce qui est d’autant plus vrai quand l’enfant est jeune.

Comment penser une parentalité positive ?

Être parent c’est être un modèle. C’est un fait scientifique étayé récemment par la découverte des neurones miroirs. Ces neurones travaillent à reproduire les gestes observés sans les faire. Quand je regarde quelqu’un faire un geste, la zone du cerveau nécessaire à la réalisation de ce geste s’active chez moi et produit mentalement ce geste. Ces neurones ont donc une fonction d’observation ou d’exécution d’une action ; ils ont aussi une fonction de compréhension et de reconnaissance de l’intention qui sous-tend l’action.

Ils servent donc à imiter les actions, mais aussi à déchiffrer les intentions et les émotions d’autrui. Quand nous regardons un film, nous « vivons » ainsi vraiment ce qui est représenté (on mesure de ce fait le risque d’exposer un jeune enfant à des images violentes puisque son cerveau intègre les gestes qu’il voit). Mais on peut aussi transmettre notre joie de vivre ou notre bonne humeur via ces neurones miroir. Un circuit à deux se met alors en place de « résonance empathique » entre le parent et l’enfant.

« L’enfant nous imite, nous lui transmettons en priorité ce que nous faisons et ce que nous sommes. », conclut l’auteur.

L’ocytocine, une molécule miracle. L’ocytocine est une molécule dont la sécrétion prépare la femme à être mère, facilite l’accouchement (de là vient son nom) et favorise même l’écoulement du lait pendant l’allaitement. Elle déclenche la sécrétion successive de plusieurs molécules : la dopamine qui active le circuit motivation-récompense (c’est un circuit qui fonctionne comme suit : plus on est récompensé, plus on est curieux, créatif, plein de projets ; a contrario, quand l’adulte freine l’enfant qui veut entreprendre, il ralentit la formation de ce système de motivation. Exemple : ne pas s’intéresser au dessin de enfant, lui demander de faire moins de bruit quand il joue, ne pas répondre aux questions, le laisser devant la télé ou lui proposer un trop-plein d’activités), les endorphines (pour le bien-être) et la sérotonine (pour la stabilisation de l’humeur).
Il se crée alors un cercle vertueux : se sentir bien avec quelqu’un déclenche la sécrétion d’ocytocine qui entraîne la sécrétion des molécules du bien-être, ce qui renforce l’envie de rester avec les personnes en question, et ainsi de suite.

L’ocytocine est aussi un puissant anxiolytique qui provoque la diminution du cortisol en activant le système parasympathique, la baisse de la tension artérielle et de l’excitation musculaire : elle permet d’utiliser cette énergie au stockage des nutriments et à la croissance ; avec la sécrétion d’ocytocine, le seuil de la douleur se relève et on devient moins sensible à l’inconfort ; sa sécrétion renforce même l’immunité, le transit intestinal et favorise la cicatrisation.

Représentation moléculaire de l’ocytocine

Enfin, elle renforce fortement l’empathie. De nombreuses études montrent qu’elle favorise la coopération, l’altruisme, voire le sens du sacrifice pour autrui. Chose étonnante, elle permet de renforce l’encodage des sentiments et des souvenirs : plus on sécrète d’ocytocine et plus les souvenirs positifs sont positifs ; inversement, plus on en sécrète et plus les souvenirs négatifs sont négatifs.

A noter, et contrairement à des représentations qui ont la vie dure, l’ocytocine est sécrétée dans les mêmes proportions chez le père ou chez la mère, ce qui tend à prouver selon l’auteur que la mère n’a pas un rôle privilégié à jouer dans l’éducation des enfants.

L’importance du jeu

Parmi les éléments favorables à l’épanouissement de l’enfant, le jeu est essentiel. Rire, s’amuser, est très bénéfique pour le cerveau. Jan Panksepp, directeur de recherches en neurosciences affectives à l’université de l’Ohio est un grand spécialiste des circuits cérébraux du jeu. Il a montré que les circuits sous-corticaux qui incitent les jeunes à batifoler, se taquiner et se bagarrer ont un rôle vital dans la croissance neurale. Le jeu fertilise la croissance des circuits de l’amygdale et du cortex préfrontal. Pendant les jeux, cet « engrais » appelé BDNF (brain derived neurotrophic factor) augmente dans les régions des lobes frontaux qui agissent sur le comportement émotionnel.

Se rouler par terre est une source de joie et diminue l’anxiété. Le jeu est une source de joie chez les jeunes de toutes les espèces de mammifères. Les jeux de contact ont des effets anti-anxiogènes naturels. Chahuter, se bagarrer, se rouler par terre modifie l’équilibre émotionnel en stimulant fortement la sécrétion d’endorphines. Il en découle un profond bien-être, baisse du stress et de l’anxiété. L’auteur remarque en guise de conclusion que les devoirs écrits sont interdits depuis le 29 décembre 1956. Ils se perpétuent pourtant et privent les enfants d’un temps de jeu précieux chaque soir.

Être conscient de la Violence Éducative Ordinaire et la proscrire.

La Violence Éducative Ordinaire concernerait 85 à 95% des adultes selon le Docteur Gueguen. Cette violence peut être physique, verbale et bien souvent le fruit d’une maladresse et d’une méconnaissance du développement cérébral de l’enfant.

Une étude montre ainsi que les cerveaux des jeunes adultes ayant subi des corrections physiques présentent une réduction du volume de la substance grise dans la région préfrontale. Elles entraînent aussi une grande vulnérabilité vis-à-vis des drogues et de l’alcool, des déficits d’attention et de mémoire.

D’autres violences ont des conséquences de long terme. Les paroles blessantes, et humiliantes ont des répercussions désastreuses : le fonctionnement de circuits neuronaux et de zones participant à la compréhension du langage est altéré. Ces perturbations peuvent aller jusqu’à la somatisation, les troubles anxieux, les troubles dissociatifs voire la dépression nerveuse. A cela s’ajoutent des conduites parfois agressives, le passage à l’acte vers la délinquance, des comportement « borderline » et paranoïaques.

Même lorsque les maltraitances semblent anodines, elles ne le sont pas, souligne Catherine Gueguen. Ainsi, les enfants qui ont reçu une éducation punitive développent très souvent une insensibilité, un cynisme, une dureté et une tendance au mensonge marquée, contrairement aux autres. Adultes, ils sont davantage en proie aux addictions, aux dépressions, aux manies et aux troubles de la personnalité, notamment les troubles dissociatifs.

Actuellement, l’étiquette d’enfant-roi ou d’enfant-tyran tend à renverser le réel : le discours ambiant donne aux enfants un pouvoir qu’ils n’ont pas. En réalité, selon l’auteur, ce sont les parents qui ont tous les pouvoirs. Les recherches scientifiques montrent que le cerveau de l’enfant est caractérisé pas sa fragilité, sa vulnérabilité et son immaturité. Le cerveau de l’adulte est lui complètement formé et c’est donc lui qui dispose des savoirs et des savoir être permettant d’éduquer sans réprimer ni effrayer.

L’auteur donne un exemple signifiant : elle tient pour établi qu’il ne faut pas raconter des histoires de loups, de sorcières et de monstres à des enfants de moins de 5 ans. Ils ne peuvent pas différencier le réel de l’imaginaire.

Renoncer à sa place de chef pour celle de guide

Catherine Gueguen conclut sur un dernier point : il faut renoncer à sa place de chef pour celle de guide. Il faut renoncer aux ordres et à la soumission pour donner des limites avec calme. Il faut renoncer à vouloir modeler l’enfant mais bien plutôt accepter son identité et le fait qu’on ne le changera pas en leur donnant des ordres. Il faut apaiser et comprendre, ce qui ne signifie en rien céder à l’enfant.

Pour une parentalité positive, il conviendrait ainsi de porter :

 une éducation affective (amour, affection, sécurité)
 des structures et orientations (règles de vie, limites)
 une reconnaissance (en les écoutant et en les appréciant comme des êtres humains à part entière)
 une autonomisation (compétence et responsabilité)
 une éducation non violente

Et ne pas oublier, que « le parent est un jardinier » qui doit comprendre et admettre qu’il faut du temps pour éduquer un enfant et faire de lui un adulte heureux.

Pour en savoir plus

Dr Catherine Gueguen, pédiatre, Une enfance heureuse, Robert Laffont, 2014

Texte © CARDIE-Académie de Créteil